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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/221

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Elle portait l’habit qui avait fait donner aux Annonciades le surnom de célestes. Un scapulaire bleu de ciel cachait le devant de sa robe de laine et descendait jusque sur ses souliers de cuir bleu ; une espèce de chape pareille au scapulaire était attachée sur ses épaules ; son voile blanc, baissé devant le visage, retombait jusqu’au genou et la cachait sous ses plis épais et raides. Il était impossible de distinguer sa taille ni ses traits, mais il y avait dans l’ensemble de cette figure voilée quelque chose de juvénile auquel on ne pouvait se méprendre. La ligne svelte que formait le pli de la chape, le contour de l’épaule, l’attitude du corps, annonçaient une jeune fille de seize ou dix-sept ans, grande, mince et de la plus noble tournure. À quelques pas derrière elle venait une autre religieuse couverte du même habit, avec cette seule différence qu’elle portait le voile noir. C’était une des discrètes qui accompagnaient les novices au parloir, et que, dans le langage monacal, on appelait une sœur-écoute. Celle-ci s’assit à l’écart, tira de sa poche son formulaire et ses lunettes, et commença une lecture.

À l’aspect de la novice, l’étrangère s’était levée.

— Est-ce vous, mademoiselle ? est-ce vous, mon Dieu ! dit-elle d’une voix altérée ; je ne saurais vous reconnaître sous ce voile.

La novice fit un signe de tête et avança la main, une main blanche, frêle et mignonne, qui ne put passer cependant à travers les barreaux étroitement croisés. L’étrangère leva les yeux au ciel avec un geste de compassion douloureuse, et une larme mouilla sa paupière aride. La novice, debout de l’autre côté de la grille, pleurait sous son voile, et pendant quelques momens des soupirs étouffés, de faibles sanglots, troublèrent seuls le silence du parloir. Contenant enfin ce premier mouvement, la jeune religieuse s’assit contre la grille de manière à se rapprocher le plus possible de celle qui venait la visiter, et elle dit d’un ton pénétré : — Ah ! mademoiselle, quelle charité de votre part d’avoir entrepris un si long voyage pour m’amener notre pauvre enfant ! Que Dieu vous récompense de cette bonne œuvre !

— Ne m’en attribuez pas le mérite, répondit la voyageuse avec une amère expression ; c’est Suzanne et mon vieux serviteur Balin qui m’ont mise en voiture presque malgré moi. Ils ont décidé que je passerais l’hiver à Paris, pensant que le changement de séjour me rendrait un peu de santé, comme si quelque chose pouvait mètre salutaire !

— La religion, le temps, pourront vous consoler, dit la novice avec un soupir ; la religion surtout, croyez-le…

Ah ! vous êtes consolée, vous ? interrompit l’étrangère.

— Non, je suis résignée, répondit la jeune religieuse avec une sérénité douloureuse. — Et après un silence elle ajouta : — Mais je ne vois point Félise. Où donc est-elle ? notre mère m’a donné la