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permission de la recevoir. N’est-ce pas votre intention de me la remettre dès aujourd’hui ?

— Oui, oui, à l’instant même, répondit vivement l’étrangère ; tenez, la voilà.

La petite fille, lasse d’appeler en vain Suzanne, s’était décidée à monter toute seule ; elle venait de pousser la porte qui était restée entr’ouverte et regardait furtivement dans le parloir. Suzanne la prit par la main et l’amena devant la grille, malgré sa résistance.

— Ma tante, s’écria-t-elle alors en saisissant la robe de l’étrangère et en jetant un regard effrayé sur le noir grillage ; ma tante, est-ce que l’on va nous enfermer dans cette prison ? Je ne veux pas. Venez, venez, il n’y a personne en bas, nous ouvrirons la porte et nous nous sauverons. — Puis, apercevant les deux religieuses à travers la grille, elle se prit à les considérer avec étonnement, et dit d’une voix plus basse : — Ah ! voilà des dames ! Regardez, ma tante, elles sont habillées de bleu avec un voile comme la sainte Vierge ; est-ce que c’est ici leur maison ?

— Oui, ma chère enfant, dit alors la novice d’une voix émue ; c’est ici notre maison ; elle a une belle chapelle, un beau jardin ; ne veux-tu pas y venir demeurer avec moi ?

— Non ; je ne vous connais pas, répliqua la petite fille. — Et, après l’avoir considérée un moment, elle ajouta d’un air de naïve résignation : — Non, j’aime encore mieux rester avec ma tante Philippine et sa méchante Suzanne.

— Mais si tu me connaissais, tu viendrais volontiers, n’est-ce pas ? reprit la novice en relevant le coin de son voile.

— Ma tante Geneviève ! s’écria l’enfant avec un geste d’étonnement et de joie.

— Tu me reconnais bien, ma Félise ; tu es contente de me revoir, dit la jeune religieuse d’un air de satisfaction mélancolique et en rapprochant son visage de celui de la petite fille, qui s’était dressée contre la grille et tâchait de l’embrasser à travers les barreaux.

L’étrangère jeta un regard sur ces deux têtes inclinées et détourna aussitôt les yeux en frissonnant ; l’on eût dit qu’à leur aspect un sentiment d’aversion et d’horreur s’éveillait dans son âme. Cette impression aurait, certes, paru fort étrange à quiconque eût aperçu les deux charmantes têtes penchées en ce moment l’une vers l’autre et se regardant à travers la grille. Les traits de la novice étaient d’une régularité qui donnait à sa physionomie un caractère particulier de noblesse et de fierté. Elle semblait sortir à peine de l’adolescence, tant les lignes de sa figure étaient mollement accusées, tant ses formes étaient frêles encore. L’ovale pur de son visage était encadré dans une guimpe de toile qui lui couvrait le front jusqu’à un doigt des sourcils et laissait