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apercevoir à peine le contour délicat de sa joue. Cette guimpe d’un blanc mat relevait le pâle incarnat et l’incomparable finesse de son teint. L’enfant avait une belle petite tête brune et naturellement frisée, une bouche vermeille comme une cerise, des joues fermes et rondes comme celles des amours de marbre qui soutenaient la cheminée. Ses traits rappelaient vaguement ceux de la novice ; mais ce qui complétait la ressemblance et constituait véritablement chez l’une et chez l’autre un signe de race, c’était la couleur de leurs yeux. Toutes deux les avaient d’un bleu si pâle, que l’iris se détachait à peine sur le fond nacré de la cornée, à l’ombre de longs cils noirs relevés en pinceau. Cette singularité donnait au regard de la jeune religieuse un charme frappant, une expression indicible de langueur, de tendresse et de mélancolie. Les yeux de la petite Félise avaient au contraire quelque chose de terne ; l’âme ne rayonnait pas encore à travers ses prunelles bleuâtres, et même lorsqu’un joyeux sourire épanouissait sa bouche, son regard s’éteignait, voilé sous sa délicate paupière.

L’étrangère s’était remise cependant de l’impression pénible qu’avait paru lui causer la vue de ces deux belles créatures. Elle se retourna vers la grille avec le geste d’une personne qui se dispose à prendre congé. Alors la novice rabaissa son voile et lui dit avec un soupir : — Accordez-moi encore quelques momens, mademoiselle ; ceci est comme le dernier adieu que je fais au monde ; vous êtes la dernière personne à laquelle j’aurai parlé à travers cette grille.

— Quoi ! les obligations de votre état sont aussi rigoureuses ! s’écria l’étrangère ; la règle vous impose un aussi grand sacrifice ?

— Non, mademoiselle, répondit la novice ; elle l’autorise seulement. Outre les trois vœux ordinaires, il nous est permis d’en faire un quatrième, celui de renoncer à la vue et à l’entretien des gens du monde, de ne plus avoir, même indirectement, aucune relation avec les personnes du siècle, de vivre enfin dans une retraite perpétuelle et absolue. Quelques-unes des saintes filles qui ont été l’exemple de cette maison avaient fait ce quatrième vœu : j’ai résolu de les imiter.

— Ne vous repentirez-vous jamais de cet excès de zèle ? s’écria l’étrangère, dont le sombre visage s’attendrit ; ne regretterez-vous pas un jour d’avoir ajouté cette obligation aux devoirs déjà si difficiles de votre état ?

La novice secoua la tête et répondit d’un ton mélancolique : — Hélas ! qui viendra jamais me demander à la grille ? Depuis un an que je suis entrée ici, j’y parais pour la première fois. Il me semble d’ailleurs que je serai plus consolée, plus tranquille, lorsque je ne pourrai plus entendre même comme un écho des bruits de ce monde où j’entrais à peine quand j’ai dû le quitter, que je me rappelle trop souvent peut-être.