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UNE VOIX D’EN BAS.

À la lanterne ! à la guillotine les rois et les seigneurs ! C’est par moi que s’accomplira la liberté des peuples.

UNE VOIX DU COTÉ DROIT.

A genoux devant le roi votre seigneur et maître, votre souverain légitime !

UNE VOIX DU COTÉ GAUCHE.

La comète apparaît déjà dans le ciel… Le jour du terrible jugement approche.

LE COMTE.

Me reconnais-tu, Marie ?

LA FEMME.

Ne t’ai-je pas juré fidélité jusqu’à la tombe ?

LE COMTE.

Donne-moi ta main… Sortons d’ici…

LA FEMME.

Je ne puis pas. Mon esprit est sorti de mon corps, il est concentré tout entier dans ma tête.

LE COMTE.

Mais nous partirons en voiture.

LA FEMME.

Laisse-moi ici encore quelque temps, et je deviendrai digne de toi.

LE COMTE.

Comment !

LA FEMME.

J’ai prié pendant trois nuits, et Dieu m’a enfin exaucée.

LE COMTE.

Je ne te comprends pas.

LA FEMME.

Depuis que je t’ai perdu, un grand changement s’est opéré en moi. Seigneur ! me suis-je écriée, et je me suis frappé la poitrine. J’ai approché de mon sein un cierge bénit, et j’ai fait pénitence, et j’ai crié : Mon Dieu, fais descendre sur moi l’esprit de la poésie ! et le troisième jour je suis devenue poète.

LE COMTE.

Marie ?

LA FEMME.

Henri, maintenant tu ne me mépriseras plus ; je suis pleine d’inspiration, et la nuit tu ne me quitteras plus, n’est-ce pas ?

LE COMTE.

Ni le jour ni la nuit. Jamais ! jamais !

LA FEMME.

Vois maintenant si je ne suis pas ton égale en puissance. Il m’est donné de comprendre tout, de m’inspirer, d’éclater en paroles, en chants de victoire. Je chanterai les mers, et la foudre, et les étoiles, oui, et les astres et les orages. Un mot inconnu m’échappe encore, — le combat[1] ; je dois voir le combat, conduis-moi

  1. La comtesse est folle par amour ; elle n’a qu’une pensée dans son délire : c’est de paraître semblable à son époux, et par là de conquérir l’affection de celui dont elle s’est attiré les dédains. Sous l’influence mystérieuse de la folie, la nature de son mari vient, pour ainsi dire, de passer en elle. Tout ce qu’ame et célèbre le comte, la poésie, les combats, sa femme l’aime et le célèbre aussi.