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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/232

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Elle distribua aussitôt l’ouvrage, et deux heures plus tard le trousseau de la nouvelle venue était presque achevé. On la fit avancer alors pour lui donner, à la place de son fourreau de soie et de son tablier de mousseline garni de gros point d’Argentan, l’uniforme des pensionnaires, ses compagnes. Ce changement de costume ne parut pas lui plaire infiniment ; elle se laissa vêtir sans proférer une parole, et en regardant d’un air courroucé la bonne supérieure, qui présentait elle-même une à une les pièces de l’habillement et ne cessait de répéter : — Voyez, mes sœurs, comme cela lui sied ! Jésus, qu’elle est charmante ainsi ! Je suis certaine que cet habit aura la vertu de la rendre sur-le-champ docile et sage comme toutes nos autres filles.

Lorsque la toilette de Félise fut terminée, toutes les sœurs l’embrassèrent l’une après l’autre en lui souhaitant le bonheur de faire quelques années plus tard une autre prise d’habit. Le même jour, après l’office, la supérieure fit dire à la sœur Geneviève de monter avec Félise au petit parloir. Un tel ordre était une faveur que recevaient rarement les novices. Le petit parloir était une salle meublée de quelques sièges, d’une table et d’une bibliothèque dont les rayons contenaient une centaine de volumes. Il n’y avait point de grille, et la porte s’ouvrait sur la chambre du tour. C’était dans cette pièce que la supérieure des Annonciades recevait la visite du petit nombre de personnes qui avaient droit de pénétrer dans la clôture.

Le révérend père Boinet, confesseur de la communauté, était déjà dans le petit parloir avec la supérieure, lorsque la sœur Geneviève se présenta avec Félise. Il se leva, salua avec la politesse d’un homme du monde, et dit en attirant l’enfant entre ses genoux : — Bonjour, mademoiselle, soyez la bienvenue ; il y a long-temps que monseigneur d’Alais promettait de nous envoyer une petite annonciade, et nous étions dans une grande impatience de la voir arriver.

Félise, peu sensible à cet accueil obligeant, regardait en dessous le père Boinet et demeurait muette.

— Excusez-la, mon père, dit la novice, elle est tout effarouchée encore ; c’est comme un pauvre petit oiseau tombé du nid, il a peur et tremble dans la main qui l’a recueilli et lui donne la nourriture.

— Je suis certain cependant que le petit oiseau n’a pas envie de s’envoler, répondit gaiement le directeur ; qu’irait-il faire dehors ? le temps est sombre, il gèle à pierre) fendre, et dans un moment il fera nuit.

La petite fille leva machinalement les yeux vers la fenêtre. En effet, le jour commençait à tomber, un brouillard glacé baignait les vitrières, la triste nuit s’avançait avec son manteau de ténèbres. Félise se serra contre la novice en frissonnant et en tournant son visage vers la cheminée où pétillait une flamme claire.