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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/234

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La sœur Geneviève subit cette dernière épreuve avec une fermeté rare, sans paraître donner un regret ou un souvenir au monde dont elle se séparait sans retour. Ce fut un grand sujet de joie et d’édification pour la communauté et surtout pour la supérieure, qui d’abord avait douté de la vocation de cette jeune fille, laquelle, depuis son entrée dans la maison, avait plutôt manifesté le goût de la retraite et de la vie cachée qu’une piété fervente ; mais quand on la vit accomplir son sacrifice avec un visage si tranquille, une contenance si ferme, on jugea qu’elle était véritablement appelée.

Le jour même de sa profession, aussitôt après la cérémonie, la sœur Geneviève eut la permission de monter dans sa cellule pour se recueillir et se reposer un moment. En sortant du chœur, elle gagna seule le dortoir. Son pas était rapide et ferme ; elle marchait comme quelqu’un qui est sous l’influence d’une agitation intérieure, que la volonté contient et domine. Aussitôt qu’elle fut dans sa cellule, elle se jeta à genoux, les mains levées au ciel, le visage inondé de larmes, et dit à haute voix : — Seigneur, Seigneur ! ne repoussez pas celle qui dans sa détresse est venue vers vous. Prenez-moi, mon Dieu, puisque je suis à vous maintenant.

Elle voulait prier encore, mais sa force morale était épuisée ; elle sentait ses pensées se confondre et s’éteindre dans son cerveau. Pâle, le front baigné d’une sueur froide, elle demeura affaissée sur ses genoux, l’âme et le corps plongés dans une sorte de défaillance. Cécile de Chameroy la surprit dans cette situation. La jeune pensionnaire, poussée par une sollicitude instinctive, était venue sur les pas de la sœur Geneviève ; lorsqu’elle la vit ainsi prosternée, le visage couvert de larmes, les yeux fermés, elle se jeta à genoux à ses côtés et lui dit avec une douleur mêlée d’effroi : — Ma sœur, ma chère sœur, vous pleurez le jour de votre profession ! Oh ! Seigneur Dieu ! vous n’aviez donc pas la vocation véritable ?

La religieuse sortit par degrés de sa stupeur, et, passant la main sur ses yeux encore pleins de larmes, elle dit avec un accent inexprimable de résignation et de douceur : — Pourquoi donc ai-je pleuré, mon Dieu ! qu’ai-je laissé dans le monde qui puisse me causer un regret ? Ne suis-je pas trop heureuse d’avoir trouvé ici un refuge ! Ah ! je dois au contraire bénir le Seigneur qui m’a ouvert sa maison et m’a donné une place au milieu de cette famille chrétienne.

— Vous êtes orpheline, ma sœur ? dit Cécile de Chameroy en soupirant.

La religieuse fit un geste affirmatif.

— Et, vous trouvant sans appui dans le monde, vous avez pris le parti d’entrer en religion ? reprit la jeune fille avec vivacité. ; Vous êtes venue ici de votre propre mouvement ? Ah ! ma chère sœur, si j’avais