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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/237

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L’on évitait d’ailleurs avec un soin extrême toutes les causes de trouble, d’agitations intérieures et de relâchement. La plupart des religieuses, entrées dans la maison dès leur enfance, ne franchissaient jamais par la pensée l’étroit horizon qui bornait leurs regards ; pour elles, l’univers était renfermé dans cette enceinte. C’étaient des âmes simples, ignorantes et heureuses, qui descendaient le courant de la vie humaine sans secousses, sans bruit et à travers un éternel crépuscule. Quelques-unes, plus puissamment douées, avaient senti leurs facultés se développer dans les enseignemens de la religion. Alors elles s’étaient naturellement tournées vers Dieu ; tout ce qu’elles avaient d’intelligence et de sensibilité s’était absorbé dans la vie mystique ; elles cherchaient avec ardeur les voies du salut, et trouvaient dans la pratique des devoirs religieux un aliment suffisant à leur activité.

La mère Madeleine, supérieure du couvent de l’Annonciation, était une religieuse vieillie dans les plus difficiles fonctions de la vie monastique. Capable et prudente, d’une piété sincère, d’un caractère droit, d’une humeur sereine, facile et gaie, elle gouvernait son troupeau avec une autorité absolue, tempérée par l’indulgence et la douceur. Élue pour la première fois supérieure à l’âge de vingt-cinq ans, elle avait réuni de nouveau tous les suffrages à l’expiration de son priorat, et, chose inouïe dans l’histoire des communautés religieuses, elle continuait ainsi sans interruption, depuis vingt années, l’exercice de son autorité.

C’était toujours dans la maison des jésuites de la rue Saint-Antoine qu’étaient choisis le confesseur et l’aumônier des Filles Blettes. Le père Boinet, leur directeur actuel, joignait à une piété, à une sainteté de mœurs avérée, le talent de conduite qui distinguait les membres de la compagnie de Jésus. Ses supérieurs avaient compris, avec leur tact et leur pénétration ordinaires, que c’était un de ces hommes encore mieux défendus par leur propre naturel que par leurs principes, et ils n’avaient pas hésité à lui confier la direction d’une trentaine de femmes qui n’étaient pas toutes de révérendes sœurs, au teint blême, au nez barbouillé de tabac. Quoiqu’il ne manquât ni de savoir, ni d’habileté, ni de finesse, il ne manifestait dans ses discours qu’une médiocre capacité ; personne n’avait comme lui l’art de se mettre à la portée des esprits simples et d’entrer dans leurs minuties. Sa figure épaisse et bonasse inspirait de la confiance aux plus timides, et il était d’ailleurs d’une laideur si vulgaire, qu’il n’était pas à craindre que les plus exaltées le regardassent jamais avec une dangereuse admiration. Au lieu de pousser dans les rudes sentiers de la pénitence le docile troupeau commis à sa garde, il le guidait à travers les voies faciles qui mènent également au ciel.

Dès son entrée au couvent, la sœur Geneviève avait été l’objet de la