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sollicitude particulière du père Boinet. Confident et juge de sa vocation, il l’avait encouragée par des motifs qui étaient demeurés ensevelis dans le secret du confessionnal, et que la jeune novice n’avait révélés qu’à lui seul. Lorsque la supérieure lui avait témoigné ses scrupules relativement à l’admission de cette belle jeune fille, qu’une résolution subite jetait dans le cloître, il lui avait répondu simplement : — Soyez sans inquiétude, ma révérende mère ; c’est une âme innocente ; elle a quitté le monde avec sa robe baptismale, et n’a apporté ici ni un regret ni un souvenir qui puissent souiller sa pureté.

Aussitôt que la sœur Geneviève eut pris le voile noir, elle fut chargée de seconder la maîtresse des pensionnaires dans ses fonctions. La tâche n’était pas difficile ; on ne se piquait pas d’instruction chez les Annonciades, et plusieurs d’entre les religieuses n’avaient jamais ouvert d’autre livre que leur formulaire ; mais, en revanche, il n’y avait point de maison où l’on excellât si parfaitement à broder des images et à faire des bouquets d’autel avec du clinquant et du papier doré. La sœur Geneviève apprenait à lire aux petites pensionnaires, et travaillait avec les grandes aux ornemens d’église, vrais chefs-d’œuvre qui demeuraient souvent une année entière sur le métier et à la confection desquels participait toute la communauté.

La jeune religieuse put s’occuper ainsi de l’éducation de Félise. D’abord elle essaya de dompter ce naturel indocile et fougueux ; mais elle n’y réussit qu’imparfaitement. La petite fille, opiniâtre et mutine, résistait à ses exhortations, à ses ordres, puis tout à coup cédait à ses prières, car elle l’aimait avec toute la tendresse dont le cœur égoïste et léger des enfans est capable. De son côté, la sœur Geneviève avait pour Félise une affection inquiète et pour ainsi dire douloureuse. Souvent ses regards s’arrêtaient avec une amère expression de tristesse sur cette jolie créature, et elle murmurait, en passant sa main dans les cheveux de la petite Angèle qui ordinairement se tenait tranquille à ses genoux, tandis que Félise bondissait autour d’elle avec la capricieuse vivacité d’une chevrette : — Seigneur, mon Dieu ! quand lui ferez-vous la grâce de ressembler à ce petit ange ?

Cécile de Chameroy devint aussi la favorite et presque l’amie de la sœur Geneviève ; bientôt cette enfant comprit ce que l’œil pénétrant de la mère Madeleine n’avait pas aperçu, ce que personne ne soupçonnait ; elle comprit que l’âme de la jeune religieuse était accablée d’un sombre ennui, d’une douleur mystérieuse et incurable. Des souvenirs chers et tristes, de vagues regrets, la préoccupaient secrètement, et quoiqu’elle ne parlât jamais de sa famille, ni du temps qui avait précédé son entrée en religion, Cécile devinait que sa pensée revenait sans cesse vers tout ce qu’elle avait quitté. Souvent, le soir, debout à la fenêtre de sa cellule, Geneviève se recueillait long-temps dans une muette