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assise ; puis, reprenant son attitude pensive, elle ajouta : — Je me figure le temps où l’on donnait ici le bal...

Le bal ! répéta Cécile avec lui profond étonnement ; vous vous figurez, ma chère sœur, ce que c’est qu’un bal !...

— Certainement, car j’y ai assisté, répondit la sœur Geneviève avec un soupir.

— Vous avez dansé ! fit Cécile à voix basse et en joignant les mains avec un geste de naïve stupeur ; — et, après un moment de réflexion, elle ajouta plus bas encore : — C’est bien divertissant, n’est-ce pas ?

— Ah ! oui, répondit ingénument la jeune religieuse, et, comme Cécile l’interrogeait encore du regard, elle ajouta : — J’ai été au bal une fois, une seule fois, le beau jour où j’eus seize ans. Elle appuya son front sur sa main et parut revenir avec un plaisir mélancolique sur ce frivole souvenir ; puis, se relevant tout à coup, elle prit le bras de Cécile, et l’emmena devant les tableaux.

— Je prends plaisir à voir tous ces personnages, lui dit-elle, car je les connais.

— Sainte Vierge ! où donc les avez-vous vus, ma chère sœur ? s’écria la jeune pensionnaire avec un étonnement où perçait quelque incrédulité.

— Dans les livres, répondit la religieuse en souriant. Nous sommes ici en illustre compagnie. Regardez les noms écrits au bas de ces toiles, et, à défaut du nom, ces écussons blasonnés.

— Vous connaissez les armoiries ?

— Comme toutes les filles nobles qui ont passé leur enfance dans de vieux châteaux. Cette maison, dont on a fait un monastère, dut appartenir jadis aux Montmorency, car l’on y retrouve partout leur écusson, et ces portraits représentent la famille du grand connétable.

Cécile parcourut du regard la série de figures alignées sur les panneaux, et tâcha de démêler leurs traits sous la poussière séculaire dont elles étaient voilées ; puis, revenant à l’idée qui la frappait surtout, elle dit en désignant un portrait de femme dont les yeux noirs et les blanches mains ressortaient seuls sur la toile :

— Vous croyez donc, ma chère sœur, que cette belle dame a donné ici le bal ?

— Certainement, répondit la sœur Geneviève, elle doit y avoir dansé le branle et la pavane comme c’était la mode il y a cent ans et plus.

— Ah ! s’écria Cécile en riant, si nos révérendes mères savaient cela, elles viendraient ici jeter de l’eau bénite.

La cloche annonça en ce moment la fin de la récréation.

— Jésus-Marie, déjà ! reprit Cécile ; la mère Perpétue a avancé l’horloge, j’en suis certaine. Allons ! il faut prendre congé de cette belle compagnie.