contemplation, et versait des larmes en élevant ses regards vers le firmament semé d’étoiles. Alors, si sa jeune amie venait s’accouder aussi à l’étroit balcon, elle lui disait en soupirant :
— Oh ! ma chère Cécile, que la nuit est belle ! Tournez les yeux vers le fond du jardin ; de ce côté, l’on n’aperçoit plus maintenant que le feuillage des arbres et la voûte du ciel. Il me semble que je suis au milieu des champs, que je respire la bonne odeur des bois, l’air vif et frais qui a passé sur les prairies. Oh ! si vous saviez comme il fait beau, les soirs d’été, dans les allées de platanes, au bord de l’eau !
Parfois elle se laissait aller à des réminiscences enfantines ; assise au fond de sa cellule, elle prenait Angèle sur ses genoux, et lui chantait à demi-voix des noëls languedociens que la petite fille écoutait d’un air curieux et naïf sans les comprendre. Souvent alors Félise prêtait l’oreille, se rapprochait et répétait ces gais refrains, les mêmes sans doute avec lesquels sa nourrice l’avait bercée. D’autres fois, à l’heure de la récréation, la sœur Geneviève quittait le jardin, et se dirigeait vers une galerie située dans une partie de la maison que n’habitaient pas les religieuses. Cette longue salle, pavée en marbre comme une église, était encore ornée de quelques tableaux dont les cadres, disjoints et voilés de toiles d’araignée, avaient dû être dorés jadis ; la poussière amassée depuis un siècle sur ces toiles vénérables avait effacé les figures et noirci toutes les teintes, à ce point qu’on ne distinguait plus que de vagues linéamens sur un fond couleur de suie. L’ameublement avait disparu, sauf quelques sièges délabrés qui gisaient renversés dans les coins. Cette pièce, qu’on appelait encore par tradition la Salle des princes, avait dû être jadis le théâtre de splendides fêtes. Sans doute, le pied léger des danseuses avait souvent frappé ces dalles humides, tandis que la musique faisait retentir jusque sous les ombrages du jardin ses vives ritournelles ; mais il ne restait pas même un souvenir de ces magnifiques divertissemens : de tant de bruit et d’éclat, il n’y avait plus rien, pas d’autres traces qu’une traînée noirâtre dont la fumée des torchères avait obscurci en certains endroits les lambris.
Un jour, Cécile eut l’idée de rejoindre la sœur Geneviève pendant sa récréation solitaire. Elle la trouva assise à l’entrée de la galerie, le visage appuyé sur sa main, le regard perdu dans l’espace profond à demi éclairé par un rayon de soleil qui traversait les ais brisés d’une fenêtre, et frappait obliquement la muraille tapissée de tableaux :
— Eh ! ma chère sœur, s’écria la fillette en riant, que faites-vous ici, en compagnie de tous ces vieux portraits qui ont l’air de vous regarder tristement du haut de leur cadre ?
— Venez çà faire connaissance avec eux, follette, dit la religieuse en se rangeant pour faire place à Cécile sur le banc vermoulu où elle était