Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quinze jours elle vivait dans d’inexprimables agitations. Le brusque départ des deux sœurs l’avait jetée dans un étonnement et un chagrin extrêmes ; leur absence lui ôtait les moyens et l’espoir de revoir M. de Gandale. Elle passait ses jours et ses nuits dans les larmes comme une fille amoureuse et désespérée ; vingt fois elle avait été sur le point de fuir, de s’en aller au hasard loin de cette maison maudite où elle se mourait de contrainte, de douleur et d’ennui.

La lettre d’Angèle la jeta dans des transports d’étonnement, de triomphe et de joie qu’elle ne put contenir. Pâle, l’œil animé, la tête haute, elle entra dans le salon où Mlle de Saulieu, assise à sa place accoutumée, travaillait à son éternel ouvrage de tapisserie. La jeune fille s’assit, car ses genoux tremblans ne la soutenaient plus ; puis elle dit d’un accent bref et précipité : — Ma tante... il faut que je vous parle. Écoutez-moi... le moment est venu où je quitterai enfin cette maison... Bientôt, aujourd’hui peut-être, un homme riche et de qualité viendra me demander en mariage...

— Qu’avez-vous dit ? je n’ai pas entendu, interrompit Mlle de Saulieu avec le geste et le vague regard de quelqu’un dont l’esprit revient de l’autre monde.

— Je dis que M. le marquis de Gandale veut m’épouser, et qu’il viendra vous demander ma main, répondit Félise ; vous la lui accorderez, ma tante ?

Mlle de Saulieu la regarda d’un air stupéfait et fit un geste négatif. A cette muette réponse, l’indignation de Félise et ses ressentimens, si long-temps contenus éclatèrent enfin. — Ne croyez pas que je vous obéisse ! s’écria-t-elle ; je n’ai que trop long-temps supporté l’esclavage où vous me réduisez !... Oui, vous m’avez fait souffrir, et je vous hais ! Qu’avez-vous été pour moi toujours ? une mauvaise parente. Enfant, vous m’avez jetée à la porte d’un cloître ; maintenant vous me gardez comme une prisonnière. Pourtant ma place est dans le monde ; je devrais y vivre comme toutes les filles de ma condition. Je suis riche et de bonne maison, je le sais ; rendez-moi ma fortune, que je reprenne enfin mon rang... Vous ne répondez pas Mais il faudra bien répondre lorsque M. de Gandale vous demandera la raison de votre refus

— Oh ! malheureuse enfant ! s’écria Mlle de Saulieu en levant les mains au ciel ; puis, avec un geste inexprimable de douleur et d’autorité, elle montra la porte à Félise en disant : — Rentrez dans votre chambre... Je recevrai M. de Gandale... et, s’il persiste après cette entrevue, je consens à votre mariage... Allez !

Subjuguée par cette autorité, frappée de ces dernières paroles, Félise se retira en frémissant et courut s’enfermer dans sa chambre, où elle passa le reste de la journée debout contre la fenêtre, épiant le moindre mouvement, le moindre bruit. Mlle de Saulieu avait donné ses ordres :