Au contraire ; car voilà l’image du siècle et de vos théories. (Ils s’éloignent.)
Je me suis fatigué pendant de longues années à trouver le dernier mot de toutes les connaissances, j’ai voulu savoir le fond de toutes les pensées, de toutes les jouissances, — et, au fond de mon cœur, j’ai trouvé le néant de la tombe. Je connais par leurs noms tous les sentimens, — et, malgré cela, il n’y a au fond de mon ame ni désir, ni foi, ni amour. Je vis dans un désert, poussé par de noirs pressentimens. — Je sais que mon fils deviendra aveugle, — et que la société au milieu de laquelle je vis se dissoudra. — Et je souffre autant que Dieu est heureux, -c’est-à-dire en moi et pour moi seul !
Aime ton prochain, aime tes frères qui sont malades, qui ont faim et qui désespèrent, et tu seras sauvé.
Qui donc a parlé ?
Je vous salue, monsieur le Comte. — Ne vous étonnez pas, j’aime quelquefois à amuser les voyageurs avec un don qui me vient de la nature : — je suis ventriloque.
Il me semble avoir déjà vu quelque part cette figure, — sur une gravure — ou un tableau.
Diable ! monsieur le Comte a bonne mémoire.
Que pour l’éternité Dieu soit loué ! — Amen !
Et ta sottise aussi.
Pauvre enfant ! — Destiné à une éternelle cécité, — et cela pour les fautes du père, pour la folie de la mère. Être sans passions, incomplet, vivant de rêveries et d’illusions ! — Ombre d’un ange précipité sur la terre et souffrant d’indicibles douleurs !
Quel est cet aigle[1] aux ailes immenses, qui vient de s’élever de l’endroit où a disparu cet homme ?
Je te salue.
Il vient à moi ; le battement de ses grandes ailes noires ressemble au sifflement de la mitraille. (Ils s’éloignent.)
- ↑ Cet aigle, c’est le symbole de l’ambition que les démons ont évoqué, on s’en souvient, dans la première partie du drame.