Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son isolement apparent par la modification que présente ici l’appareil respiratoire. Chez les insectes, en effet, il n’y a ni poumons ni branchies. L’air arrive par un nombre variable d’ouvertures dans un ensemble de conduits appelés trachées, dont la structure singulière ressemble presque entièrement à celle d’un élastique de bretelle. Ces trachées se ramifient par tout le corps. Par conséquent, comme l’avait dit Cuvier, chez les insectes, l’air semble aller chercher le sang, tandis que le contraire arrive chez les autres animaux. L’explication était logique, et tout mouvement de ce liquide paraissait ici inutile, puisqu’il pouvait sans cesse être revivifié sur place. Néanmoins une observation plus attentive a fait depuis reconnaître chez les insectes une véritable circulation. Un long vaisseau contractile placé sur le dos joue le rôle de cœur. Le sang se meut ensuite en liberté dans l’interstice des organes ; mais chacune de ses portions n’en est pas moins promenée successivement dans tout l’organisme ; seulement la circulation est presque entièrement lacunaire. Rien n’est plus facile que de suivre sous le microscope tous ces courans dont les globules charriés par le liquide trahissent l’existence et la direction.

Ainsi, chez tous les invertébrés dont nous venons de parler, le cercle circulatoire est incomplet, et cette circonstance n’en rend que plus remarquable l’existence d’une circulation non interrompue dans la classe des annélides. Sans doute nous trouvons aux derniers rangs de ce groupe des animaux sans appareil de circulation, puis quelques espèces qui en offrent l’ébauche encore informe ; mais le plus grand nombre possède un système de vaisseaux sanguins parfaitement clos. Jusque chez les némertes dont la machine animale présente un degré de simplification remarquable, le sang parcourt sa route sans sortir des tubes contractiles qui le renferment. Chez elles pourtant, il n’y a pas de cœur, pas plus que chez les annélides proprement dites, et de plus, les vaisseaux partout d’un calibre égal ne donnent naissance à aucune branche accessoire. Au point de vue de la circulation, les annélides ressemblent aux vertébrés bien plus que les insectes ou les premiers mollusques dont pourtant l’organisation est sans contredit bien supérieure à la leur.

Enfin les vertébrés eux-mêmes subissent la loi commune, et chez les derniers représentans de ce type, chez les poissons, nous trouvons encore des exemples de circulation lacunaire. Ce fait important, bien inattendu il y a deux ans à peine, a été découvert simultanément par deux anatomistes qui tous deux travaillaient à Paris, et à l’insu l’un de l’autre. MM. Natalis Cuillot et Robin ont montré que, chez les raies, il existe des portions du corps où les vaisseaux sanguins manquent tout à coup, et où le sang s’épanche librement dans des cavités dont la disposition rappelle ce qui existe chez les animaux placés aux derniers degrés de l’échelle.