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homme qui méprise et hait les étrangers en masse sera obligeant et poli pour chaque étranger en particulier. Entrez chez un Chinois de la classe aisée que vous n’aurez jamais vu, il s’empressera de vous saluer avec toutes les démonstrations de la politesse chinoise, en joignant les mains, en inclinant plusieurs fois la tête, et en répétant le mot tchin-tchin, qui est la formule de salutation ordinaire. On ne tardera pas à vous servir sur un guéridon l’inévitable tasse de thé renfermant encore la feuille en infusion et surmontée d’un petit couvercle concave en métal dentelé, qu’on maintient avec le doigt en buvant, de manière à ne laisser qu’un étroit passage à la liqueur et à ne point avaler de feuilles. Puis le maître vous présentera une pipe à eau, en cuivre blanc, munie d’un large réservoir et pleine d’un tabac jaunâtre qui ressemble assez à de la mousse desséchée. On vous apportera, pour l’allumer, une de ces baguettes formées de poudre de bois odorant réduite en pâte, puis durcie, qui brûlent toujours près de l’autel des ancêtres et répandent un parfum des plus agréables. Le Chinois prendra plaisir, en vrai propriétaire, à vous montrer ses appartemens et ses jardins. Quant aux femmes, il faut renoncer à les voir ; mais, à part cette concession faite aux mœurs de l’Orient, on n’oubliera aucune attention, aucune prévenance. Recevrait-on mieux un citoyen du Céleste Empire dans une maison européenne où il serait tout-à-fait inconnu ?

Parmi les nations qui se trouvent en contact avec la Chine, toutes ne sont pas traitées sur le même pied par les habitans de Canton. Il y a dans leur attitude vis-à-vis des étrangers des nuances bien légères, mais qu’il importe de ne pas laisser échapper. Les Anglais sont à Canton l’objet d’une antipathie très prononcée. Les institutions charitables qu’ils ont élevées dans ces dernières années n’ont pas encore effacé dans l’esprit du peuple les souvenirs de la guerre de 1841 et 1842. Cependant ces institutions devraient inspirer aux Cantonais quelque estime pour la nation à laquelle ils en sont redevables. Au premier rang il faut citer la Société médicale des missions protestantes anglaises et américaines. Cette société a doté d’hôpitaux les divers ports ouverts par le traité de Nankin. L’hôpital de Canton est connu sous le nom d’Ophtalmic Hospital, parce qu’on y reçoit un grand nombre d’individus attaqués de maladies des yeux. Cet hospice est dirigé par un Américain, par le révérend pasteur et docteur Parker, homme d’un mérite peu ordinaire, et qui joint au caractère le plus aimable de très grandes connaissances en médecine et surtout en chirurgie. Les belles cures du docteur Parker ont inspiré une immense confiance aux Chinois, qui se pressent chaque jour dans la salle de, réception, et viennent se faire guérir par lui, sans dépenser un sapek, de maladies réputées mortelles par tous les médecins du pays. M. Parker a opéré, avec un plein succès, un très grand nombre de cataractes ; il a guéri non moins heureusement plusieurs de ces loupes ou tumeurs si communes et si effrayantes chez les Chinois. Le vice-roi Ki-ing lui-même eut recours, il y a quelques années, au savant docteur pour une maladie de peau dont il souffrait depuis long temps. Promptement guéri grace aux soins de M. Parker, il lui exprima sa reconnaissance par une lettre des plus gracieuses.

La création de la Médical missionary society remonte à 1838. Les hôpitaux sont entretenus d’abord par la bienfaisance et la libéralité des Anglais et des Américains résidant en Chine, puis aussi par les dons provenant de la Grande-