Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bretagne et des États-Unis. Les hommes qui eurent la première idée de cette belle et charitable institution voulurent faire acte de politique autant que de philanthropie. Ils savaient que la meilleure manière d’établir la prééminence de leur pays dans une société peu avancée, c’était de la doter des bienfaits de l’humanité et de la science. Le but de ces fondations n’est pas seulement d’ailleurs politique et philanthropique, il est aussi religieux. La plupart des agens de la Medical society sont en même temps médecins et pasteurs. On comprend tout l’ascendant que leur donne ce double caractère, et combien un malheureux à qui ils viennent de sauver la vie doit être disposé à écouter leurs exhortations. Aussi compte-t-on, dans le nord de la Chine comme à Canton, beaucoup de conversions opérées par ces médecins missionnaires, qui trouvent souvent dans le même homme un néophyte ardent pour soutenir leur propagande, un élève habile et actif pour les seconder dans les hôpitaux. Quoi qu’on puisse dire de ce concours prêté par la religion et la philanthropie à la politique, il faut reconnaître qu’on serait moins fondé à s’élever contre les empiètemens de l’Angleterre, si elle n’avait suivi, pour étendre sa puissance, que de pareilles voies.

Il nous reste à parler de la position des Français en Chine. Ce n’est pas toutefois la question commerciale que nous entendons soulever encore. Ce que nous voudrions indiquer, c’est l’avantage purement moral que nous assurent les dispositions des Chinois pour la France. On semble, en Chine, accorder aux Français la préférence sur les autres nations. Peut-être quelque vague notion de nos longues guerres avec les Anglais milite-t-elle en notre faveur. Peut-être espère-t-on trouver en nous d’utiles médiateurs dans le cas où de nouvelles difficultés viendraient à surgir entre la Chine et la Grande-Bretagne. Le souvenir de l’immense influence que nos missionnaires ont jadis exercée à la cour de l’empereur Kang-hi et la continuité de relations pacifiques, quoique peu actives, entre la France et le Céleste Empire, doivent aussi avoir contribué à inspirer aux Chinois quelque sentiment de bienveillance pour notre pays. A Canton même, dans cette ville si hostile aux étrangers, quand un voyageur est reconnu pour appartenir à la nation française, il voit les mauvais traitemens de la populace faire place à des démonstrations toutes pacifiques[1]. Il ne faut pas s’exagérer sans doute la portée de ces symptômes, ni se figurer que nous échappions à cette loi de mépris général dans laquelle le Chinois enveloppe tous les étrangers. Seulement la nation française est placée moins bas dans son estime que les autres nations ; cet avantage, ainsi restreint, peut encore nous satisfaire. Il y a là une garantie de succès pour nos relations futures avec la Chine. D’un autre côté, il importe que la France se rende compte des difficultés qui l’attendent et des règles

  1. C’est ce qui arriva du moins aux membres de la mission française. Au commencement de notre séjour à Canton, nous étions confondus avec les autres étrangers, et accueillis par des murmures dans les quartiers où ne pénètrent pas souvent les Européens. Au bout de quelques mois, quand on fut habitué à nous voir et qu’on sut que nous étions Français, on ne nous jeta plus de cailloux, et, au lieu de nous accueillir par l’injure ordinaire, fan-kouaï, on nous appela Fa-lansaï ou Flan-saï (Français). Quand nous entrions quelque part accompagnés d’un Chinois, il s’empressait de faire connaître notre nation, et aussitôt les physionomies devenaient riantes, on nous examinait, on nous questionnait sur la France, sur sa marine, sur sa grandeur, et les exclamations de surprise se multipliaient avec nos réponses.