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Ces circonstances, disséminées dans les colonnes de vingt journaux, ont peu de valeur. Réunies dans une série d’argumens, elles peuvent devenir décisives.

La première conduit à se demander si ce jeune homme brun, en compagnie duquel Mary Rogers a été vue par deux témoins dignes de foi, ne serait pas justement l’officier de marine qu’une première fois, Mary Rogers avait suivi loin de la maison maternelle.

La seconde explique comment l’opinion publique, égarée par l’analogie de deux faits arrivés à peu de jours de distance, est imbue de l’idée que la jolie marchande a été surprise dans les rues par une bande de malfaiteurs, et mise à mort par eux après de honteuses tentatives. Il ne faudra donc plus accorder à cette version si populaire une trop grande valeur.

La troisième circonstance n’a de véritable portée qu’après une très longue série d’argumens dont nous ne pouvons fatiguer le lecteur, — et qui tous ramènent l’esprit à la même conclusion, à savoir que l’officier de marine, coupable de la première séduction, demeurée incomplète, doit nécessairement être soupçonné d’avoir commis le meurtre dont on a vainement cherché l’auteur ou les auteurs. Quand tous ces indices sont ainsi groupés, l’enlèvement de la barque déposée au barge-office devient un véritable trait de lumière. Cette barque, remorquée là le lundi, en a disparu le jour suivant, avant qu’aucun journal eût averti qu’elle avait été trouvée. C’est sans doute le propriétaire de cette barque qui est venu la reprendre ; mais pourquoi n’a-t-il pas réclamé le gouvernail ? Ceci dénote quelque trouble de conscience, — de même que l’adresse consommée avec laquelle il a trompé la surveillance des gardiens prouve l’habitude des manœuvres maritimes, — de même que la connaissance qu’il a eue de l’endroit où était sa barque établit qu’en homme du métier il est au courant, avant toute information publique, des plus petites nouvelles concernant l’état du port. Ceci posé, on revient à l’examen du cadavre. Les épaules, légèrement meurtries, portaient des empreintes correspondantes à celles des traverses qui garnissent le fond d’un bateau. D’ailleurs, le corps n’aurait pu, sans une grave imprudence, être jeté dans les basses eaux qui confinent au rivage. Il a donc fallu une barque pour le conduire au milieu du courant. Une fois débarrassé du cadavre, le meurtrier aura cherché à se dérober tout aussitôt aux recherches. En arrivant au débarcadère, s’il n’a pas immédiatement trouvé sous sa main ce qu’il lui fallait pour amarrer sa barque, poursuivi par les terreurs qui devaient l’assiéger, il aura facilement cédé à la pensée de laisser aller à la dérive cette embarcation sans valeur. Fuir à tout prix, s’éloigner de la rivière maudite où flotte le cadavre qui l’accuse, telle a dû être son unique préoccupation dans ce moment de crise et d’angoisse ; mais, le lendemain, avec une horreur