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chat. Ce dernier, toujours empressé autour de son maître, se trouva sur ses pas, et le fit cheoir. Oubliant alors ses craintes, et n’écoutant que son ressentiment, l’homme leva sur le chat une hachette qu’il tenait à la main ; la femme intervint mal à propos pour sauver le chat : la hachette, — nous ne nous chargerons pas d’expliquer cette erreur, — s’égara sur la tête de la femme.

Il ne s’agissait plus, le crime une fois commis, que de faire disparaître le cadavre. Après avoir passé en revue tous les moyens usités en pareil cas, — depuis le dépècement par petits morceaux, jusqu’à l’emballage dans une malle qu’on expédie à quelque mille lieues, à l’adresse d’un correspondant inconnu, — l’homme inventa de murer le corps de sa femme, suivant la méthode adoptée par les moines dans leurs in pace, c’est-à-dire de l’enfouir dans l’épaisseur d’un mur. Ce beau projet fut immédiatement mis à exécution : l’assassin enleva les briques dont on avait masqué le devant d’un foyer condamné, et, dans le vide qu’elles laissaient, plaça le corps de la défunte ; puis, devant le corps, il releva la cloison, qui se trouvait ainsi parfaitement en rapport avec le reste du mur. Il va sans dire qu’il avait sali avec grand soin le mortier dont il se servait pour cette opération délicate, et mêlé dans le plâtre assez de villosités jaunâtres pour lui ôter toute indiscrète blancheur. Bref, l’ouvrage était bien fait, et le trompe-l’œil exécuté d’une manière très rassurante.

Ceci terminé, l’homme en revint à la pensée de tuer bel et bien le chat, unique témoin du meurtre ; mais, à sa grande surprise et à sa grande joie, il ne le put dénicher nulle part. Le prudent animal avait sans doute fui la maison ensanglantée. Son départ n’était-il pas un heureux présage ?

Pourtant, au bout de quatre ou cinq jours, la police, avertie que la femme ne paraissait plus, met ses agens en campagne, et fait une visite domiciliaire chez le mari, soupçonné de s’être procuré les douceurs du veuvage par quelque illicite procédé. On fouille avec soin la maison. Le maître lui-même conduit du grenier à la cave les estafiers décontenancés. Il les mène, avec une sorte de triomphe sauvage, jusqu’à l’endroit même où est caché ce qu’ils cherchent. Il prend un malin plaisir à leur vanter l’épaisseur, la solidité des murailles ; il va, — tant son audace est grande et sa sécurité complète, — jusqu’à frapper la cloison qui dérobe à leurs yeux la preuve du crime… mais alors de la muraille même sort un long gémissement, une plainte qui n’a rien d’humain, et qui semble la voix d’un démon accusateur. L’homme s’évanouit sur place, la police jette bas la muraille, creuse, et trouve dans l’intérieur, sur le cadavre de la femme assassinée, le gros chat noir accroupi, dont l’œil unique, allumé par la faim et la colère, éclaire au loin les ténèbres de la cave. L’homme l’avait muré, lui aussi, sans s’en apercevoir.