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écrite dans l’intention de déterminer le gouvernement français à renoncer à ses projets. Or, la France a passé outre : voilà ce qui constitue la gravité de la situation. Tout en faisant des vœux sincères pour que la reine d’Espagne ait de nombreux héritiers, lord Palmerston déclare que l’incertitude des choses humaines l’oblige à examiner le cas possible où la couronne viendrait à passer sur la tête de l’infante. Le gouvernement français n’a-t-il pas cherché à reconquérir indirectement ce qu’il avait paru abandonner ? Cependant la bonne foi exige qu’après avoir renoncé d’une manière à une chose, on ne cherche point à y revenir par une autre voie. Dans l’hypothèse où le mariage de M. le duc de Montpensier viendrait à se réaliser, la dépêche du 22 septembre laisse entendre que l’Angleterre réclamerait la garantie d’une renonciation pour les enfans de l’infante et du duc de Montpensier au trône d’Espagne ; mais le gouvernement anglais a peine à croire qu’un gouvernement aussi désireux que prétend l’être celui de la France de respecter la tranquillité des états voisins et de maintenir la paix de l’Europe, puisse persister à vouloir accomplir un mariage qui menace un de ces états d’un danger immédiat, et peut compromettre la paix européenne.

Lord Palmerston insiste encore sur le caractère et les conséquences du mariage du duc de Montpensier. Cet événement lie, à ses yeux, la politique des deux pays non-seulement pour les relations extérieures, mais pour les affaires intérieures de l’Espagne. Le mariage, s’il s’achève, ne pourra-t-il pas, dans l’avenir, donner lieu à une intervention française en Espagne ? La monarchie de la reine Isabelle n’est pas à bout de commotions. L’Angleterre, ajoute lord Palmerston, ne saurait être spectatrice indifférente d’un événement qui peut avoir de tels résultats. La manière dont le mariage projeté a été arrangé, les vues politiques qu’il révèle, les conséquences qu’il peut avoir, engagent le gouvernement britannique à faire des représentations sérieuses contre ce projet, et à exprimer l’espoir fervent qu’il ne sera pas mis à exécution.

Voilà en quels termes la question était posée par la dépêche anglaise du 22 septembre. Cette dépêche, il faut le dire, était une tentative d’intimidation : elle invitait expressément le gouvernement français à ne pas passer outre. On comprend la nouvelle importance que reçoivent d’un pareil langage les faits accomplis. Le 5 octobre, M. Guizot adressait à M. de Jarnac une dépêche dont il l’invitait à donner communication à lord Palmerston, et qui contient une réponse détaillée à tous les griefs élevés par le gouvernement anglais. Comme nous l’avons dit, cette dépêche est répandue dans le monde de la diplomatie, et beaucoup d’hommes politiques la connaissent. M. le ministre des affaires étrangères s’attache d’abord à repousser le reproche d’avoir envoyé des instructions particulières à Madrid au moment où il demandait à lord Palmerston d’agir de concert dans la question du mariage de la reine Isabelle. Il est vrai que, dans le mois de juillet, M. Guizot proposa au cabinet de Londres de s’entendre pour appuyer les deux infans, fils de don François de Paule : celui des deux qui conviendrait à l’Espagne conviendrait aussi à la France. M. Guizot tenait le même langage dans ses dépêches à M. Bresson. À cette proposition, lord Palmerston ne répondit qu’un mois après. Il n’adhérait pas à l’ouverture du gouvernement français, telle qu’elle avait été faite ; il demandait au contraire à la France de se joindre à lui pour présenter exclusivement don Enrique, seul propre, selon les termes