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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/381

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qu’est sortie la crise ; à qui la faute ? Il y avait eu 47 voix contre 93 pour fermer le protocole, en adhérant à la proposition de Zurich, sauf à recommander en même temps au vorort les arrêtés pris contre les corps francs ; il y avait eu 62 voix contre 79 pour une solution encore plus conciliante, tenir le protocole ouvert jusqu’à ce que les arrêtés sur les corps francs fussent exécutés, et déclarer qu’on poursuivrait alors la dissolution de la ligue séparatiste. La majorité du grand conseil n’a voulu d’aucun accommodement, et, selon l’exemple du conseil d’état, elle a tout décidé contre les corps francs, tout ménagé pour les fédérés ultramontains. Genève marchait donc désormais à la suite de Lucerne, et ne gardait plus même de réserve dans un engagement si partial ; le gouvernement a si fort tendu la chaîne, qu’elle a rompu, et les coups de fusil, ont répondu au coup d’état.

Qu’arrivera-t-il de cette révolution ? Une voix de plus en diète votera contre la ligue des sept, dont l’existence est désormais directement menacée ; la ligue, de son côté, proclame que tout arrêté pris contre elle par la diète restera lettre morte, tant qu’elle ne jugera point à propos de s’y soumettre. Il se prépare donc à bref délai un conflit inévitable, et ce malheureux pays est plus près que jamais de la guerre civile, à laquelle on le dirait voué par sa constitution. Catholiques et radicaux recommencent, au bout de quarante ans passés, cette vieille lutte des oligarques et des unitaires, à laquelle le génie du premier consul avait su mettre un terme, mais que la réaction de 1815 et celle de 1830 ont successivement renouvelée. N’oublions pas quelle fut alors la conclusion du démêlé. On ne garda point l’ancien droit public du moyen-âge, on ne garda pas non plus la constitution de 1798, modelée avec une fidélité trop peu intelligente sur la France républicaine et centralisée ; on s’en tint aux moyens termes, et la Suisse fut sauvée par l’acte de médiation. Les dehors des partis changent bien plus que n’en change le fond : les oligarques de 1801 couvrent aujourd’hui leur intérêt du prétexte de l’intérêt religieux, ce voile commode, qui sert depuis quelque temps en Europe à dissimuler toutes les ambitions rétrogrades ; les unitaires d’autrefois ont ajouté à leur chimère politique une chimère sociale : ils tournent au communisme, cette grande impossibilité dont on essaie toujours de faire un épouvantail pour le dresser sur le chemin du progrès et de la liberté. Il est fâcheux sans doute d’assister les bras croisés à cette inutile tragédie que va peut-être nous donner cette lutte acharnée de deux idées fausses, et ni le bien ni la vérité m’ont beaucoup à gagner au choc de passions si aveugles ; n’oublions pas, cependant que, lors des troubles de 1801, le premier consul n’intervint que de guerre lasse, et ne nous pressons pas de mettre à notre compte toutes les difficultés de la situation. Il faut quelquefois, comme on dit vulgairement, faire la part du feu ; que les factions extrêmes s’épuisent sur un champ de bataille nécessairement circonscrit, qu’un parti réellement modéré s’organise enfin du milieu de ces ruines, et la France aura bientôt ainsi avec qui traiter. La France n’a point encore en Suisse de représentant sur qui elle puisse compter ; elle ne doit être ni ultramontaine ni radicale ; il n’y a jusqu’ici qu’une attitude qui lui convienne, c’est l’attitude expectante. Elle a d’ailleurs plus d’une bonne raison pour amener à la même neutralité celle des grandes puissances qui eût pu désirer une action plus efficace sur les affaires helvétiques ; nous croyons même savoir que l’Autriche est déjà décidée à s’abstenir. Que la Suisse, ainsi laissée à elle-même, ne prolonge pas