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ferme et le plus éclairé. Ce fut d’abord la politique française qui parut devoir conserver l’ascendant moral que lui avait valu l’issue favorable d’une lutte glorieuse. Elle triompha en Hollande, et y fonda sa prépondérance, comme elle l’avait fait en Amérique, sur la protection des vrais intérêts nationaux et des grands principes dont l’Europe lui attribuait déjà la défense ; mais, inhabile aux efforts suivis et aux vues persévérantes, une année ne s’était point écoulée, que la France avait permis à l’Angleterre de prendre une revanche éclatante, et avait compromis, par une attitude indécise, la considération qu’elle venait à peine d’acquérir. Le gouvernement anglais fut le premier à comprendre qu’entre deux ennemis également fatigués de la guerre, également incapables de recourir, sans péril pour leurs finances, à cette extrême raison des rois, l’avantage devait appartenir à celui qui saurait envisager la situation de l’œil le plus calme et conserver le mieux son sang-froid au milieu des chances apparentes d’un nouvel appel aux armes. Pendant que, sous un prétexte frivole, les troupes prussiennes, commandées par le duc de Brunswick, entraient tout à coup sur le territoire des Provinces-Unies, et y rétablissaient l’autorité du stathouder, le ministère anglais, auquel Pitt avait déjà imprimé sa résolution et sa vigueur, tenait en échec le cabinet de Versailles, et l’empêchait, par la fermeté de son langage et de sa contenance, de remplir, en soutenant la Hollande, les obligations qu’il avait contractées envers ses nouveaux alliés. A partir de ce premier succès, l’Angleterre ne s’arrêta plus dans cette voie de réparations que l’habileté de ses ministres venait d’ouvrir à son orgueil blessé et à ses intérêts un instant sacrifiés. En 1790, elle humiliait successivement l’Espagne et la Russie, et montrait à l’Europe qu’elle était loin d’avoir abdiqué le rang élevé d’où on avait pu la croire descendue. La première de ces puissances avait paru décidée à soutenir, les armes à la main, ses prétentions à la domination exclusive des côtes occidentales de l’Amérique, et ses croiseurs avaient maltraité des négocians anglais qui, pour se livrer à un commerce de fourrures avec la Chine, s’étaient établis à Nootka-Sound, sur la côte occidentale de l’île de Vancouver, à la hauteur de la Nouvelle-Géorgie et non loin de l’embouchure de la Colombia et du territoire si récemment contesté de l’Orégon. Des explications très vives suivirent ces procédés violens et amenèrent une transaction qui garantit à l’Angleterre la liberté du commerce sur la côte nord-ouest de l’Amérique. Cet orage, en se dissipant, laissa donc la Grande-Bretagne en possession d’une situation morale fortifiée par un nouveau succès et avec un accroissement de puissance maritime, résultat naturel de préparatifs sérieux et considérables. La politique que le ministère anglais, d’accord avec les cabinets de Vienne et de Berlin, adopta, quelques mois plus tard, vis-à-vis de la Russie, inspirée par les mêmes principes, eut les mêmes effets, et fut suivie des mêmes conséquences.