Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à 112 vaisseaux de ligne, 20 vaisseaux de 50 canons et 150 frégates. A la même époque, les flottes réunies de la France et de l’Espagne ne s’élevaient pas à moins de 140 vaisseaux, dont 60, déjà mouillés en rade de Cadix, n’attendaient plus qu’un dernier signal pour mettre sous voiles et se porter dans la mer des Antilles. 12 autres vaisseaux avaient quitté la rade de Boston sous le commandement de M. de Vaudreuil, et un corps d’armée considérable était réuni à Saint-Domingue, prêt à s’élancer sur la Jamaïque. L’Angleterre avait dû peser tous les désavantages de cette situation quand elle avait signé la paix. « Qui pourrait croire sérieusement, s’écriait le jeune Pitt, alors en butte aux assauts de l’opposition, qui pourrait croire que la Jamaïque eût résisté long-temps à une attaque régulière soutenue par 72 vaisseaux ? Nos amiraux, après avoir reçu les renforts qu’on leur eût envoyés d’Europe, n’en auraient eu que 40 sous leurs ordres, et il y a long-temps que, dans cette chambre, on a reconnu qu’une guerre défensive ne saurait aboutir qu’à une ruine inévitable ! Nos amiraux auraient-ils donc, avec ces 40 vaisseaux, regagné par leurs armes ce que les ministres ont recouvré par leur traité ? ou ne devions-nous pas plutôt craindre avec trop de raison que cette dernière campagne dans la mer des Antilles ne se terminât par la perte de la Jamaïque, seul reste de nos possessions dans cette partie du monde ? »

C’est sur ce ton résigné que s’exprimait alors le fils de lord Chatham, c’est en ces termes qu’il essayait de justifier un traité onéreux et qu’il résumait la situation des puissances belligérantes, dix années avant la guerre qui devait se terminer par la ruine presque complète de notre marine. Les alliances qui nous avaient soutenus dans celle lutte ne nous manquèrent point cependant quand elle se renouvela, mais elles ne servirent qu’à augmenter le retentissement de nos désastres. Ni le nombre des vaisseaux que nous rassemblâmes, ni le dévouement intrépide de ceux qui les montaient, ne purent tenir lieu de ce qui manquait alors à notre flotte : une bonne organisation, la pratique de la mer, et surtout la confiance qui naît des premiers succès.


III.

La paix de 1783 avait eu moins en vue de concilier d’une façon durable des intérêts depuis si long-temps rivaux et opposés que de donner aux puissances épuisées par une longue lutte le temps de reprendre haleine et de se préparer à de nouveaux sacrifices. Elle suspendit donc les hostilités sans éteindre cet antagonisme funeste et ces prétentions exclusives qui, depuis tant de siècles, ont agité et divisé le monde. Bientôt, en effet, à une guerre ouverte on vit succéder une guerre d’influence, dans laquelle tout l’avantage devait rester au gouvernement le plus