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navires que soulevait l’ouragan révolutionnaire ; mais la foi républicaine rencontra dans cette arène les restes de ce vieux fanatisme puritain qui, depuis Cromwell, n’était point complétement éteint encore. Pour résister à la furie francaise, il se retrouva parmi ces descendans des têtes rondes quelque chose de ce feu sombre et opiniâtre que leurs pères opposaient jadis aux cavaliers de Charles Stuart, et c’est ainsi que, pendant près d’un quart de siècle, il fut donné à ces ardeurs rivales de se disputer et d’étonner le monde.

Nelson lui-même, qui possédait au plus haut degré ce qu’on peut appeler la bravoure de tempérament, et qui n’a jamais connu, si l’on peut en croire le témoignage de sa correspondance et celui de ses contemporains, cette émotion involontaire que ressentit le jeune Wellesley à sa première bataille ; Nelson, qui jouait sa vie aussi résolûment qu’aucun homme au monde, ne dédaignait point cependant, au moment de combattre, de raffermir son courage au souvenir des pieuses exhortations de son père. A la veille de ces grandes journées d’où il est rarement sorti sans blessure, il éprouvait le besoin de se recueillir et d’envisager d’un œil ferme et grave les chances qu’il allait courir. En général, il écrivait sur son journal une courte prière.


« Notre vie à tous, disait-il, est entre les mains de celui qui sait mieux que personne s’il doit préserver ou non la mienne. Je m’en remets sur ce point à sa volonté. Mais ce qui est dans mes propres mains, c’est ma réputation et mon honneur, et vivre avec une réputation flétrie me serait insupportable. La mort est une dette que nous devons tous payer un jour ; il importe peu que ce soit aujourd’hui ou dans quelques années. Ce que je veux, c’est que ma conduite ne puisse jamais attirer la rougeur sur le front de mes amis. » - « Rappelez-vous (écrivait-il à sa femme au moment où il pensait que lord Hood pourrait atteindre l’escadre française accourue au secours de Calvi), rappelez-vous qu’un brave homme ne meurt qu’une fois, et qu’un lâche meurt toute sa vie. Si quelque accident devait m’arriver dans cette rencontre, je suis certain du moins que ma conduite aura été de nature à vous donner des titres à la bienveillance royale. Ne croyez pas cependant que j’aie aucun sinistre pressentiment, et que je craigne vraiment de ne plus vous revoir ; mais, s’il en devait être autrement, que la volonté de Dieu soit faite ! Mon nom ne sera jamais un déshonneur pour ceux qui le portent. Le peu que je possède, vous le savez, je vous l’ai déjà donné. Je voudrais que ce fût davantage, mais je n’ai jamais rien acquis d’une manière qui ne fût honorable, et ce que je vous donne vient de mains qui sont pures. »


Au mois d’octobre 1794, lord Hood rentra en Angleterre sur le Victory, et laissa le commandement temporaire de la flotte au vice-amiral Hotham. Il avait eu souvent à se plaindre de la négligence avec laquelle l’amirauté pourvoyait aux besoins de son escadre, et, à son arrivée en Angleterre, il s’en expliqua avec vivacité. Il était, vers le mois d’avril 1795, à la veille de mettre sous voiles pour aller reprendre