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pût lui servir ; son gréement était haché, plusieurs de ses mâts se trouvaient compromis par les boulets qu’ils avaient reçus, et, se hâtant de s’éloigner sous les lambeaux de voiles qui lui restaient, il faisait à l’amiral Hotham le signal de détresse. Le Bedford avait moins souffert, mais il était également obligé de se faire remorquer par ses canots hors de la portée de ses redoutables adversaires.

Cependant quatre nouveaux vaisseaux anglais, aidés par un souffle de vent, l’Illustrious, le Courageux, la Princesse royale de 98, portant le pavillon de l’amiral Goodall, et l’Agamemnon, alors à son poste de bataille, s’avançaient pour remplacer les bâtimens que le Censeur et le Ça ira avaient désemparés. De son côté, l’amiral Martin, qui avait arboré son pavillon sur une frégate, profitant de la brise qui venait de s’élever du nord-ouest, faisait signal à son escadre de virer vent arrière, et de suivre, par un mouvement successif, en se repliant vers la queue de la ligne, le vaisseau le Duquesne, chef de file de l’armée, auquel il confiait le soin de conduire nos vaisseaux entre la flotte anglaise et les deux bâtimens qu’elle s’apprêtait à accabler. Les intentions de l’amiral furent mal comprises, ou le vaisseau le Duquesne n’osa point, à cause de la faiblesse de la brise, les exécuter. Il vint au vent, et, gouvernant parallèlement à la ligne anglaise, la canonna du côté opposé à celui où se trouvaient le Censeur et le Ça ira[1]. Nos autres vaisseaux le suivirent, et, comme les capitaines Benoît et Coudé persistaient bravement à combattre, l’avant-garde anglaise se trouva, pendant quelque temps, placée entre deux feux et obligée de servir ses canons des deux bords. Ses deux premiers vaisseaux, l’Illustrious et le Courageux, virent tomber bientôt leur grand mât et leur mât d’artimon, et eurent, en moins d’une heure, 35 hommes tués et 93 blessés. Malheureusement notre avant-garde ne poursuivit point ses avantages. Entraînant par son exemple le reste de l’armée, elle s’éloigna et laissa sur le champ de bataille, comme on l’avait déjà vu dans mainte affaire funeste à notre pavillon, des ennemis près de se rendre, et deux de nos vaisseaux bien dignes assurément qu’une flotte se compromît pour les sauver. Avant de se laisser amariner, le Censeur et le Ça ira avaient perdu 400 hommes, vu tomber une partie de leur mâture et désemparé quatre vaisseaux ennemis, dont l’un, l’Illustrious, se jeta à la côte, deux jours après, par suite de ses avaries.

  1. … « Le général, voulant profiter de ce souffle de vent que nous semblions recevoir, signala à l’armée de se former en bataille pour dégager les deux vaisseaux assaillis ; mais le Duquesne, qui était chef de file, loin d’exécuter l’ordre, a tenu le vent et a passé au vent de l’escadre anglaise, au lieu d’arriver entre nos deux vaisseaux et l’armée ennemie, ce qui les aurait probablement sauvés. » (Rapport du représentant du peuple Letourneur de la Manche, en mission près l’armée navale de la Méditerranée, 26 ventôse an III.)