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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/450

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fondement sous le rapport du genre de dessin adopté par cet artiste, qui, loin d’imiter l’antique qu’il avait cependant étudié à Rome, n’en avait adopté ni les formes, ni le goût, ni les principes. »

Ce critique, tout bien intentionné qu’il est, pourrait bien n’avoir connu ni ce goût, ni ces principes dont il parle. Il ne sait pas assez que, l’antique ne nous étant connu que par les statues et par les bas-reliefs, il a pu prendre pour ce qu’il appelle les principes de l’antique ceux qui s’appliquent seulement à la sculpture, comme l’isolement des figures, la sécheresse des draperies collées sur le nu, etc., etc. Ce sont là en quelque sorte les conditions nécessaires de cet art. Prudhon, au contraire, est peintre d’abord, c’est-à-dire que sur un champ auquel il donne avant tout la profondeur, il dispose des groupes entourés d’air et de lumière. Il s’attaque à la plus grande difficulté de son art, qui est d’obtenir la saillie. Ce qui caractérise l’antique, c’est l’ampleur savante des formes combinée avec le sentiment de la vie, c’est la largeur des plans et la grace de l’ensemble. Le véritable esprit de l’antique ne consiste pas à donner à toute figure isolée l’apparence d’une statue ; ce même esprit ne réside pas davantage dans la disposition en bas-relief, quand il s’agit de rendre une scène composée de plusieurs figures.

On ne refusera pas à Prudhon une grande partie des mérites qui sont ceux de l’antique. Dans la moindre étude sortie de sa main, on reconnaît un homme profondément inspiré de ces beautés. Il serait hardi sans doute de dire qu’il les a égalées dans toutes leurs parties. Il eût retrouvé à lui seul, parmi les modernes, ce secret du grand, du beau, du vrai et surtout du simple qui n’a été connu que des seuls anciens. Il faut avouer que la grace chez lui dégénère quelquefois en afféterie. La coquetterie de sa touche ôte souvent du sérieux à des figures d’une belle invention. Entraîné par l’expression et oubliant souvent le modèle, il lui arrive d’offenser les proportions ; mais il sait presque toujours sauver habilement ces faiblesses.

Sa couleur est plus séduisante que vraie, mais on ne peut en concevoir une autre plus appropriée à son dessin. D’ailleurs, le sentiment de l’harmonie est chez lui si complet, que l’esprit ne demande pas autre chose que ce qu’il voit. Il a fait de très beaux portraits, mais idéalisés toujours. Le choix des fonds, la manière dont il les éclaire, en font des espèces de poèmes comme ses tableaux. Nous n’en citerons qu’un seul qui résume les qualités de tous les autres : c’est celui de l’impératrice Joséphine. Il a su joindre à une ressemblance parfaite un sentiment d’élévation exquis dans la pose, dans l’expression et dans les accessoires. Elle est assise sous les bosquets de la Malmaison. La mélancolie de l’expression fait pressentir ses malheurs. La tête, les bras, la robe, sont admirables. Il semble que la toile a trop d’étendue pour la figure. On voudrait surtout retrancher dans la partie supérieure ; à part ce défaut,