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chose qu’une impuissante rêverie, une vaine science au profit des despotes ! Les rois absolus, nous dit-on, ont, eux aussi, des idées à leur service, et de plus ils ont des baïonnettes pour les faire exécuter. Comment donc les idées émancipatrices résisteront-elles, livrées sans armes à cette double attaque de l’ennemi ? On peut répondre qu’il y a du moins ceci de rassurant dans les tendances du siècle, que, malgré son apathie, son amour de l’or et son culte des faits accomplis, il a pourtant conservé un respect invincible pour les nationalités. Les diversités de mœurs et d’institutions ne nous choquent plus comme elles choquaient nos pères ; on a enfin reconnu le droit de vivre aux races inférieures et aux petits peuples tout comme aux grandes nations. Toute tentative du fort pour absorber le faible excite aujourd’hui la réprobation. C’est ce sentiment désormais général qui me paraît assurer le développement égal et parallèle des quatre dialectes slaves, même en dépit des pouvoirs constitués qui paralysent les uns au profit des autres ; mais, pour triompher des obstacles, il faut que la solidarité soit franche et complète. Pour obtenir d’être appréciés et admirés du public russe, il faut que de leur côté les critiques polonais apprécient à leur juste valeur les écrivains moscovites ; il faut que l’enfant de la Pologne ne soit plus seulement Polonais, mais Slavo-Polonais, que le Moscovite se sente Slave avant de se sentir Russe, qu’il ne se croie pas instruit tant qu’il ne sera pas arrivé à pouvoir lire des revues et des journaux non-seulement dans sa langue, mais encore dans les langues polonaise, bohême, illyrienne. Grace à ces communications, les différens dialectes de la race puiseront les uns dans les autres une force nouvelle ; ils se protégeront réciproquement contre l’invasion étrangère, ils s’entr’aideront même à perfectionner les traits de leur physionomie individuelle, en la rendant plus conforme au type général slave, à peu près comme dans l’ordre de la civilisation un peuple est d’autant plus puissant, développe d’autant mieux sa propre nationalité, qu’il se donne des lois plus libérales, plus en harmonie avec les tendances communes du genre humain.


III.- DU PANSLAVISME POLITIQUE

Comme toute conception dans l’ordre des idées aspire à se réaliser dans l’ordre des faits, il s’ensuit que le panslavisme n’est pas seulement une question littéraire : c’est encore une question politique, une question sociale. Quel système politique, quelle organisation sociale fera-t-on dériver du panslavisme ? Ce problème, au point de vue théorique, peut se résoudre en quelques mots.

Il y a quatre langues et quatre littératures slaves : or, une langue littéraire, c’est une nation ; il y a donc quatre nationalités slaves. De même qu’en littérature ces nations, se déclarant solidaires, cherchent à se