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faire de mutuels emprunts, à s’enrichir chacune avec le travail de toutes, de même en politique elles doivent se prêter un appui réciproque pour atteindre un but qui leur soit commun et cher à toutes également. Ce but, quel sera-t-il ? Il semble que pour tout homme indépendant il ne peut être autre que la plus grande civilisation et la plus grande liberté possibles de tous les Slaves. Le démembrement d’une des quatre nations slaves par les trois autres, ou l’absorption des trois plus faibles par la quatrième, serait-ce de la solidarité ? serait-ce là du panslavisme ? Les Russes eux-mêmes n’osent pas le soutenir.

Le seul panslavisme politique qu’indique la nature, le seul que réclament les masses, c’est donc avant tout l’affranchissement des quatre nationalités slaves ; et, comme une de ces quatre nationalités jouit déjà de son gouvernement propre et indigène, il S’agit de faire obtenir aux trois autres le même avantage. Voilà le but définitif de tous les panslavistes sincères. Ils se proposent d’organiser une sorte d’assurance mutuelle, une ligue tacite, mais effective, pour l’émancipation ; ils voudraient surtout amener une coalition des trois nationalités slaves démembrées, et leur persuader d’unir leurs efforts pour redevenir enfin ce qu’elles étaient jadis, des états indépendans. Le panslavisme des patriotes est sans doute encore loin d’être aussi affermi dans sa marche que le panslavisme des savans. La raison de l’infériorité du premier est toute simple ; la police le persécute et travaille partout à le dissoudre, pendant qu’elle tolère l’autre. Cependant, quoiqu’ils poursuivent des buts différens, l’un et l’autre sont intimement liés. Leur propagande se confond sous plus d’un rapport, et notamment dans les universités, où est leur principal foyer. Cette propagande présente trois degrés d’initiation. Au premier degré se placent les nouveaux convertis, ceux qui, long-temps indifférens à la gloire et aux souffrances de leur patrie, sentent enfin naître en eux le goût de la langue et de la littérature nationales. Au second rang des initiés sont ceux qui lisent depuis longtemps les livres slaves, qui favorisent l’épanouissement de la langue et des lumières chez leurs compatriotes, mais qui tremblent à l’idée de se jeter dans des projets d’affranchissement politique. Au troisième rang enfin sont ceux qui regardent la littérature comme une lettre morte, tant qu’elle ne pousse pas au dévouement, à l’action. Ces derniers proclament hautement qu’une littérature sans nationalité est une fleur sans parfum ; ils veulent unir la plume et l’épée. Le nombre de ces hommes résolus augmente tous les jours ; mais il est encore, il faut bien l’avouer, beaucoup trop restreint pour agir. Voilà pourquoi le panslavisme jusqu’à présent a été surtout une question littéraire, débattue dans les universités et parmi les érudits.

Cette existence jusqu’ici trop scientifique du panslavisme explique aussi comment les agens du tsar ont pu donner le change en Europe