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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/479

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avec le tsar contre leurs oppresseurs. C’est ainsi qu’ils prétendent fonder un panslavisme d’un ordre à part, qui consisterait à grouper sous le sceptre des Romanof, et à titre de puissances protégées, les différentes nationalités slaves. Cette pensée perce d’un bout à l’autre de la longue épopée panslaviste du poète slovaque Kollar, intitulée Slavy-Dcera. Les peuples slaves y apparaissent formant tous ensemble un immense empire que le poète se représente comme une espèce de colosse imité de celui de Babylone dans la Bible. La Russie en forme la tête, la Pologne le cœur, la Bohême et l’Illyrie en sont les bras et les pieds.

Il serait imprudent de contester ce que ces idées ont de séduisant et de dangereux. Il faut bien reconnaître l’existence d’un panslavisme russe ; seulement on peut nier qu’il soit slave par son caractère, et qu’il puisse jamais avoir la sympathie d’aucun Slave indépendant. Si le cabinet de Pétersbourg soutient avec tant de zèle ses coreligionnaires du Danube et de l’Adriatique, c’est à la condition que ces opprimés ne s’élèveront jamais, comme ils ont osé le faire en Serbie, à la prétention d’une existence nationale distincte. De ce moment, en effet, comme on l’a vu pour la Serbie, les Slaves protégés du tsar trouveraient aussitôt dans leur grand protecteur leur ennemi le plus acharné. Qu’on parcoure l’histoire de ces protectorats russes, depuis celui exercé sur les derniers rois de Pologne et de Géorgie jusqu’à ceux que le tsar exerce actuellement sur les principautés serbes et moldo-valaques et sur l’empire croulant de la Perse : on verra que ces divers protectorats ont toujours eu et ont encore pour but unique d’empêcher les nations protégées de se relever de leur abaissement et de renaître à l’indépendance. En est-il d’ailleurs autrement de tous les protectorats ? Ceux qu’exerce l’Angleterre depuis un demi-siècle en Asie ont-ils un autre but que l’asservissement universel des peuples et la concentration forcée du commerce et de l’industrie du globe sous un seul pavillon ? La Russie n’est donc pas plus coupable sous ce rapport que les autres empires.

Évidemment le protectorat russe, par cela même qu’il est protectorat, doit avoir pour conséquence de paralyser, d’asservir les nationalités auxquelles il s’impose. Il a encore un autre résultat non moins funeste, celui d’inoculer aux peuples protégés des mœurs et des institutions contraires à leur génie. C’est ainsi que le système russe des boïards s’est enraciné dans les principautés moldo-valaques, et que de nombreuses tentatives ont été faites par les consuls russes de Belgrad pour introduire en Serbie le système hiérarchique et jusqu’aux ghildes ou corporations commerciales de la Moscovie. Le péril est ici d’autant plus grand que le système russe n’est pas sans avoir quelques liens de parenté avec les institutions slaves. La civilisation russe actuelle, bien qu’elle soit un mélange d’institutions anglaises et napoléoniennes altérées, repose néanmoins sur un fonds d’idées propres à tous les Gréco-Slaves,