de leurs privilèges ; mais la députation envoyée par les nobles livoniens au pied du trône impérial n’a reçu du monarque qu’une réponse évasive, ou plutôt la réponse a été accablante, puisque, immédiatement après, des mesures ont été prises pour soustraire à l’influence de leurs seigneurs tous les serfs des provinces allemandes.
Il y a, dans de tels événemens, matière à de sérieuses réflexions pour les princes du corps germanique. Pendant que ces princes discutent ensemble pour savoir s’ils donneront enfin les constitutions promises depuis 1815, pendant que les populations de cette vaste Germanie, morcelées en une foule de petits états, rêvent la conquête prochaine de leur unité politique, la Russie, plus rapide dans ses mouvemens, et sans rêver ni discuter, gagne chaque jour du terrain. Déjà, au moyen de réformes sociales, le cabinet de Pétersbourg russise les populations allemandes enclavées dans l’empire, et laisse entrevoir aux Slaves du dehors le moment où il pourra intervenir, comme juge et comme vengeur, entre eux et l’Allemagne humiliée.
Dans sa vingt-huitième séance, qui a été l’une des plus agitées de la session de 1846, la chambre des députés de Bade a entendu le représentant Hecker prononcer sur l’avenir des Slaves des paroles qui ont eu un long retentissement : « Je crois, a-t-il dit, qu’une catastrophe peu éloignée nous menace. Remarquez le progrès des littératures slaves, et comment s’y développe la conscience nationale. Allez écouter les leçons de la chaire slave de Paris, prêtez l’oreille à ce que disent les Slaves au sein même de l’Allemagne, lisez le testament de Pierre-le-Grand : tout pronostique à notre patrie allemande une des crises les plus graves qu’elle ait jamais eu à subir. Le panslavisme l’envahit sur tous les points. Parcourez la Bohême, la Hongrie, la Croatie : partout où un Slave a son foyer, dans la hutte enfumée du plus misérable serf, vous trouvez appendu le portrait du tsar. A votre question : De qui est ce portrait ? On vous répond : C’est le portrait du petit père, du maître qui doit réunir un jour toute notre race en un seul corps. Le jour où cette réunion s’accomplira, je vous le demande, messieurs, comment serons-nous en état d’opposer une force de résistance égale à la force d’attaque des Slaves ? Qui nous assure que leurs dévastations ne surpasseront pas celles des Mongols ? Le panslavisme grandit si rapidement, qu’on peut craindre de le voir prendre bientôt dans le monde le rôle dominateur enlevé successivement aux Romains et à la race germanique. »
Quelque exagération qu’il y ait dans ce discours, quelque faux qu’il soit de dire que tous les paysans slaves ont chez eux le portrait de l’empereur Nicolas, il n’en est pas moins singulier d’entendre de telles paroles tomber du haut d’une tribune allemande. De tristes pressentimens saisissent de toutes parts l’Allemagne ; le démembrement de la Pologne,