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accompli par elle, la poursuit comme un rêve sinistre. Le cours des événemens appellera, dans un avenir prochain, la confédération germanique à protester à main armée contre les envahissemens de la Russie, et à s’élever comme champion du latinisme contre les exigences à la fois politiques et religieuses de l’Orient schismatique. Malheureusement l’Allemagne ne jouit pas de l’unité que réclame un tel rôle. Après avoir été si long-temps le saint-empire d’Occident, l’Allemagne s’est violemment scindée en deux camps. Sur l’un domine la Prusse, principal organe du protestantisme, et par conséquent la plus mortelle ennemie du catholicisme et de Rome ; sur l’autre camp règne l’Autriche, prétendue héritière de l’empire germanique, mais qui ne compte que six millions d’Allemands, puissance amphibie dont la tête est latine, mais dont le corps presque tout entier est slave et oriental. C’est avec des élémens si discordans, avec ses milliers de sectes religieuses, et la multiplicité de ses petits états politiques, tous rivaux les uns des autres, que l’Allemagne sera forcée de se lever contre la formidable unité militaire et religieuse de l’empire russe.

Refoulée sur le Rhin par la France, l’Allemagne se flatte de trouver sur le Danube d’amples compensations, et de se frayer, à l’aide de ce fleuve, un chemin d’or vers l’Orient ; mais, comme le bassin du Danube est aux trois quarts peuplé par des Slaves, plus l’importance commerciale de ce fleuve augmentera, plus il deviendra un instrument formidable de l’Orient slave contre l’Allemagne et l’Europe. Si elle ne se proposait que son indépendance, l’Allemagne, au lieu de canaliser les passages difficiles du Danube, devrait plutôt en semer le cours de cataractes pour y rendre la navigation impraticable. Il est remarquable que l’Autriche est la seule des grandes puissances qui n’ait jamais fait la guerre aux Russes. Ce fait a une raison plus profonde qu’on ne le pense. En effet, qu’une armée française occupe Vienne, le lendemain de son arrivée elle négocie les conditions de son évacuation. Elle n’est retenue sur le sol autrichien par aucun rapport de consanguinité, par aucun intérêt national direct. Il n’en est pas de même d’une armée russe. Maîtresse de Vienne, elle voit aussitôt autour d’elle l’Illyrie, la Bohême, la Gallicie et les Slovaques lui tendre les bras et l’invoquer dans une langue qu’elle comprend. Pour peu que la Russie, dans une telle circonstance, écoutât son propre intérêt, elle organiserait d’un seul coup sur l’Adriatique, en Hongrie et en Bohême, trois états indépendans, qu’elle pourrait, en se retirant, laisser derrière elle à la place de l’empire des Habsbourg.

On ne court pas volontiers de pareilles chances, et, plutôt que de faire la guerre à la Russie, l’Autriche préférerait mettre, comme elle l’a déjà fait tant de fois, toutes ses armées au service du tsar contre la France et l’Occident. Quant à l’Allemagne, supposons que, réduite, en