Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son intervention possible et utile ? C’est ce qu’il nous reste à examiner. Si d’une part le panslavisme russe prend chaque jour des proportions de plus en plus inquiétantes pour l’équilibre de l’Occident ; si de l’autre le panslavisme slave, fidèle à ses tendances libérales, donne des gages certains et nombreux de sa vitalité, de sa persévérance, l’Europe ne trouvera pas seulement dans ce double mouvement un grave sujet de préoccupation ; elle sentira encore la nécessité de ne point rester plus long-temps spectatrice inactive d’une lutte dont l’issue pourrait lui devenir funeste.

Ce qui a surtout fortifié dans ces derniers temps le panslavisme russe, ce sont les vieilles rancunes si tristement ranimées des Slaves contre l’Allemagne. Il ne faut pas se dissimuler les avantages que la Russie a su tirer de ces ressentimens implacables depuis les massacres de Tarnov. Le péril existe, il est réel et sérieux : ce n’est pas l’Allemagne seulement, c’est le monde entier qu’il menace. Quoi qu’on puisse dire des nombreux obstacles qu’aurait à surmonter le gouvernement d’un grand empire slave une fois établi, il n’en faut pas moins prévenir par tous les moyens la réalisation de ce plan, qui détruirait pour jamais l’équilibre de l’Europe. Contre les agens panslavistes de la Russie, le panslavisme slave, dont l’Allemagne aveuglée cherche à nier l’existence, est une arme qu’il serait imprudent de briser ; tant que cette barrière sera debout, la cause des nationalités slaves ne sera pas perdue, et derrière ce rempart l’Occident verra sa tranquillité à l’abri de toute atteinte.

S’il triomphait, le panslavisme tsarien réagirait par son principe même contre le développement de la liberté dans le reste de l’Europe ; il provoquerait contre tous les Slaves une réaction violente, et, en coalisant contre eux toutes les autres puissances, il ouvrirait infailliblement pour cette race une nouvelle ère de servitude. C’est donc uniquement dans le panslavisme des peuples qu’il faut placer ses espérances. Celui-là est le fond secret de la pensée de quarante-cinq millions d’hommes, depuis l’ancien duché de Litvanie jusqu’aux frontières de la Grèce. Le but du panslavisme est de réunir toutes ces masses asservies dans une pensée commune. Cette pensée qui, à un moment donné, pourra faire lever ensemble tous les Slaves opprimés ; cette pensée, répétons-le, ne peut être qu’une pensée de liberté : d’un côté liberté politique, c’est-à-dire indépendance des diverses nationalités slaves, de l’autre liberté civile, c’est-à-dire affranchissement de toutes les classes encore mineures parmi ces nations.

Ainsi conçu, le panslavisme ne peut certes provoquer contre lui aucune objection raisonnable. C’est donc par un malentendu fatal que la presse française applique le nom de panslavisme uniquement à la propagande russe. Cet abus de mots porte d’abord une grave atteinte à la vérité, car les savans panslavistes de Bohême et d’Illyrie ne sont assurément