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ajouter que le communisme ne nous effraie pas là beaucoup plus qu’ailleurs : les communistes de Lausanne n’ont pas encore aboli la propriété dans le canton de Vaud, et les socialistes allemands qui viennent successivement prêcher à Berne n’y trouvent pas une meilleure fortune que dans leur pays. Enfin, quant à cette extension des droits politiques, qui semble ici l’œuvre radicale par excellence, il ne faudrait pas juger de ces singulières démocraties au point de vue de nos habitudes constitutionnelles, et il suffit de rappeler que dans les cantons de Schwitz, de Glaris et d’Appenzel, on est citoyen actif à seize ans. Ainsi débarrassé de son entourage socialiste, de ses prétendus attributs politiques, le radicalisme, réduit à lui-même, n’a point de consistance propre. Il n’en est pas de même de l’ultramontanisme, installé dans les vieux cantons comme dans une citadelle, d’où il s’étend avec une habile lenteur sur toute la Suisse. Qu’on observe l’action qu’il a exercée sur Fribourg et sur le Valais, qu’on dise s’il n’y a point là un danger, non-seulement pour la nationalité helvétique, mais pour les principes même sur lesquels reposent toutes les sociétés modernes. C’est ce danger que les modérés de toutes les opinions doivent combattre, et ils n’y réussiront qu’en se montrant. Leur seul concert, leur seule apparition porterait une sûre atteinte aux partis extrêmes. Combien n’y a-t-il pas en Suisse aujourd’hui de citoyens écartés des affaires soit par la rigueur des ultramontains, soit par le dégoût des menées radicales ! Ce sont ceux-là, et leur nombre est grand, qui peuvent, en ce moment, dénouer bien des difficultés ; c’est avec ceux-là que la France peut traiter. Qu’ils se rapprochent du gouvernement, qu’ils triomphent de leurs répugnances ou de leurs anxiétés, de cette indifférence trop commune qui a mené la Suisse où elle est arrivée. Ce qu’il faut avant tout, c’est d’éviter un choc qui menace de réduire la confédération en poussière. L’intérêt, le devoir de quiconque est attaché de cœur à l’unité suisse, c’est donc de ménager dans sa faiblesse, désormais évidente, la ligue malencontreuse des sept : vouloir la briser immédiatement par la force, ce serait trop exposer ; mais la force à la main, on peut sagement négocier et sagement attendre. Pourquoi les jésuites n’ôteraient-ils pas eux-mêmes le dernier prétexte à cette lutte fatale en quittant Lucerne ? Pourquoi n’obtiendrait-on pas d’eux, sous Pie IX, ce qu’ils n’ont pas refusé sous Grégoire XVI ? et quel intérêt la ligue aurait-elle encore à se maintenir, une fois déchargée du soin de les protéger ? Nous ne pensons pas que le sage pontife encourage beaucoup les catholiques de Lucerne à se montrer plus catholiques que le pape ; nous croyons que jamais négociation mieux inspirée ne pourrait être conduite par un canton directeur. Nous sommes sûrs enfin qu’elle trouverait l’appui de la France, si même la France ne l’a déjà devancée.

De cruels désastres ont répandu dans le pays une consternation douloureuse. Les inondations semblent destinées à devenir une calamité périodique qui forme un déplorable contraste avec la prospérité matérielle dont nous sommes fiers. L’inexorable fléau menace et détruit tout, la vie des hommes, les subsistances tant dans le présent que dans l’avenir, les propriétés des particuliers, les voies de communication, les travaux d’utilité publique. Les récits déjà si tristes des feuilles quotidiennes ne nous tracent cependant qu’un tableau fort incomplet des malheurs qui ont désolé plusieurs de nos départemens. Les lettres particulières, les rapports des voyageurs, offrent des détails plus affligeans encore. La charité publique s’est émue, et en ce moment elle multiplie ses offrandes Le gouvernement