Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour que ce ne soit pas trop de l’illustrer avec deux exemples. Je commence par M. Schuselka.

Son livre a paru au lendemain des malheureux événemens de Pologne ; l’auteur, en véritable Allemand de l’école historique, tremble devant l’avenir dont la Russie menace l’Allemagne, et reproche toujours à la France les crimes qu’elle a commis contre la dignité, contre l’intégrité du saint-empire. Le maréchal Davoust n’est encore pour lui, par exemple, qu’un brigand furieux. En revanche il accuse violemment M. de Metternich d’avoir compromis à jamais les royautés sous prétexte de les sauver par la diplomatie. Il en veut à l’esprit révolutionnaire, parce qu’il a bouleversé l’ordre primitif des sociétés européennes, fondé sur la longue suite des âges ; mais ce ne sont pas, dit-il, les philosophes, ce sont les souverains qui ont ruiné le respect des couronnes. Le partage de la Pologne a sanctionné la révolution avant même que la révolution fût déchaînée. La date fatale n’est pas 1789, c’est 1772. Les monarchies n’ont pas d’autre base que le droit historique : les monarques conjurés apprirent alors eux-mêmes aux nations le peu que valait à leurs yeux ce droit sur lequel est assis leur trône. La seule occasion qui leur soit maintenant donnée de restaurer le pouvoir ébréché par leurs mains, c’est de rendre à la Pologne les provinces qu’ils lui ont enlevées et de reconstituer l’indépendance du vieux royaume : les révolutions ne cesseront qu’après qu’on aura fermé la porte par où elles ont envahi le monde.

Tel est le point de vue pour nous assez original où se place M. Schuselka ; il peut sembler qu’il y a chez lui une confiance bien naïve dans le mérite de ces antiques principes que leurs plus naturels défenseurs sacrifient si facilement à toutes leurs ambitions ; mais il est impossible à quelque opinion que ce soit de défendre d’une manière plus énergique et plus probante la noble cause qu’il a voulu soutenir avec ces armes singulières. Il ne résulte pas de son livre que la politique de l’école historique soit moins attaquable et le droit divin plus sacré ; mais il en ressort clairement quelle perte cruelle l’Europe a faite en perdant la Pologne, et quels dangers cette fortune mal acquise a depuis amassés sur les deux puissances germaniques, malheureusement associées : l’œuvre moscovite de la spoliation. L’auteur examine successivement les rapports de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche avec la Pologne, puis les rapports de la Russie avec la Prusse et l’Autriche elles-mêmes. Dans cet ordre si simple, les détails neufs, les faits spéciaux se pressent et se groupent de manière à produire beaucoup d’effet sans rien de cherché.

Alexandre savait bien ce qu’il voulait quand il plaidait à Vienne pour la conservation du nom de la Pologne. Les tzars, rois de la Pologne, peuvent élever leurs prétentions, non-seulement sur Posen et sur la Gallicie, mais sur une partie de la Prusse et de la Silésie ; il n’y a pas de vains titres avec la force, beati possidentes ! l’Allemagne n’a point encore oublié comment les procédures des chambres de réunion attribuaient à Louis XIV les dépendances de ses conquêtes. La France et la Russie se sont entendues à Vienne pour effrayer et jouer la Prusse et l’Autriche avec l’épouvantail du jacobinisme. Les congrès ont eu plus de peur de la liberté des peuples que de l’ambition des tzars ; la France vaincue n’a pas rendu tout ce qu’elle devait rendre, et M. de Metternich a dit depuis que le monde ne pardonnerait pas aux diplomates les concessions qu’ils avaient faites à la Russie quand on pouvait tout obtenir d’elle avec plus de fermeté. La Russie a