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d’avoir sacrifié au désir de marcher dans leur indépendance le respect qu’ils devaient aux exemples des maîtres, aux conseils de la critique.

Quoi qu’il en soit, le mouvement existe, confus, indiscipliné. Beaucoup de livres et beaucoup de promesses, voilà jusqu’à présent toute la moisson. Faut-il cependant renoncer à l’espoir, et le combat, long-temps stérile, ne révélera-t-il pas à l’Allemagne des forces nouvelles ? Là est la question qu’on ne peut s’empêcher de poser après la lecture de chaque volume qui vient solliciter et retenir un moment l’attention de la foule. Quelques symptômes meilleurs se montrent, il faut le reconnaître, et, bien que rares, ils doivent nous rassurer. Des talens discrets et naïfs s’éloignent de la cohue bruyante, ils reviennent presque à leur insu vers le droit chemin où la muse allemande se retrouve d’accord avec ses meilleures traditions. L’étude des mœurs nationales occupe encore quelques imaginations sereines. Les récits de village, les tentatives de roman historique indiquent une tendance nouvelle qui pourra devenir féconde. Nous souhaitons qu’après tant de recherches et de déceptions, l’Allemagne, heureuse et calmée, retrouve enfin son originalité primitive.

Ce qui pourrait hâter un si désirable résultat, ne serait-ce pas l’appui prêté à la réaction naissante par un romancier vraiment distingué ? Je concevrais en cette crise littéraire un rôle aimable, et c’est à une femme que ce rôle conviendrait surtout. Il ne s’agirait pas de protester solennellement contre les déviations, contre les erreurs de chaque jour : c’est un rude labeur qu’il faut laisser à la critique. Montrer aux incrédules ce qu’il reste encore d’épis mûrs à glaner dans le champ de la famille sans qu’il soit besoin de sonder d’autres sillons et d’empiéter sur les terres voisines ; ramener en un mot la poésie vers l’autel des muses nationales, le roman aux peintures de la vie allemande, ne serait-ce pas là une tâche séduisante, et ne pourrait-on promettre avec confiance une gloire modeste et charmante à l’esprit délicat qui saurait la remplir ? Les limites mêmes dans lesquelles il faudrait se renfermer prudemment auraient de quoi satisfaire une de ces ambitions féminines qui n’excluent ni l’esprit ni le goût. C’est un programme à peu près pareil, exécuté avec charme et sans prétention, qui a fait la popularité des récits suédois de Mlle Bremer. Apaiser, rafraîchir les imaginations exaltées, mêler aux âpres accens des modernes conteurs une voix douce et suave qui parle de résignation et de paix ; opposer aux conceptions de l’orgueil en délire l’étude naïve et patiente de la réalité, voilà ce qu’a su faire l’auteur des Voisins. Se peut-il qu’en Allemagne un tel exemple n’ait pas été suivi ? Mme la comtesse Hahn-Hahn, dont une plume équitable et ferme a ici même apprécié les écrits[1], s’est en effet tenue à l’écart de cet humble et rustique domaine où Mlle Bremer a fait une si riche moisson. La lutte orageuse des passions contre les exigences du monde, tel est le spectacle qui l’a séduite et qu’elle a voulu décrire.

Mme la comtesse Hahn-Hahn aurait eu mauvaise grace, il faut le reconnaître, à protester contre ce mouvement un peu confus dont nous cherchions tout à l’heure à préciser le caractère. Elle-même en est sortie, et il est de ces origines qu’on voudrait en vain renier. Tandis qu’on déplaçait sur tous les points les limites fixées au roman par le génie de l’Allemagne, elle aussi a voulu jouer son

  1. Voyez, dans la livraison du loi septembre 1845, l’étude de M. Saint-René Taillandier sur Mme la comtesse Hahn-Hahn.