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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/580

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dans la préface. En tenant compte de cette promesse, il est impossible d’admettre comme logique l’imprudent sacrifice du réel à l’idéal dans le caractère de Clelia.

Ce n’est pas un défaut semblable que nous avons à relever dans la physionomie du comte Gundaccar Osnat. Ici la vraisemblance est respectée. Gundaccar unit à une imagination vive et délicate un de ces caractères faibles que le moindre revers abat, que le moindre obstacle décourage. Élevé au sein d’une famille noble et opulente, il a pendant long-temps ignoré les salutaires épreuves de l’adversité. Quand la misère vient l’assaillir, il tombe affaissé sous ce fardeau imprévu. Il est de ces hommes qu’un nuage au ciel suffit pour attrister : comment résisterait-il à la tempête ? Un seul lien le rattache à la vie, c’est l’amour. Gundaccar aime Clelia de cet amour profond et aveugle qui participe de la soumission, et que les natures faibles ont pour les natures fortes. On le voit, ce caractère est vrai. Que manque-t-il cependant à Gundaccar pour nous intéresser ? Il lui manque un peu de ce charme idéal que Mme Hahn-Hahn s’est efforcée de concentrer sur Clelia Conti. Oui, sans doute, le spectacle de la faiblesse dans l’amour est un spectacle émouvant. Il y a dans les défaillances du cœur comme dans ses aspirations les plus généreuses des sources d’émotion intarissables ; mais, si Desgrieux aux pieds de Manon nous arrache des larmes, c’est que le respect de l’exactitude n’a pas conduit Prévost au mépris de l’idéalisation. L’immortel romancier a su concilier le culte de la vérité avec les plus délicates exigences de l’art. C’est là son triomphe : qu’il négligeât cette loi suprême, et l’amant de Manon perdait ses droits à notre pitié.

A côté de Clelia et de Gundaccar, à côté de l’amour exalté et de l’amour soumis, le baron Achatz Thannau ne nous semble placé qu’à titre de personnage odieux et repoussant, pour faire ressortir les deux figures préférées. L’égoïsme brutal d’Achatz rappelle les exagérations du mélodrame. C’est une dissonance là où il ne fallait qu’un contraste. Faute de mesure et d’adresse, la brusque opposition de l’ombre et de la lumière manque ici son effet.

On connaît maintenant les personnages que le romancier va faire agir. Nous ne les suivrons pas dans toutes les vicissitudes semées d’une main prodigue sur leur chemin ; nous ne voudrions extraire de ce récit que les lignes essentielles et la pensée première. — L’enfance de Clelia s’est passée dans un couvent. Les journées calmes qui s’écoulent dans cette pieuse enceinte, les vagues impressions que jette le monde à peine entrevu au milieu des premières rêveries de la jeune fille, tout ce réveil d’une ame ardente et fière est décrit, nous l’avouerons, avec une finesse, une simplicité attachantes. On reconnaît la plume d’une femme à ces agréables tableaux. Clelia, de bonne heure orpheline, quitte le cloître pour la maison de son oncle, qui habite Inspruch. Son père italien, sa mère allemande, lui ont laissé un beau nom et une grande fortune. Que va devenir, au milieu du monde, la jeune orpheline élevée dans la solitude ? La famille de son oncle lui est hostile. L’angélique beauté de Clelia lui aliène le cœur de sa tante et de ses deux cousines, toutes trois également envieuses et coquettes. Le baron Achatz Thannau, parent de l’oncle de Clelia, la voit et en devient éperdument amoureux. La tante et les cousines favorisent les prétentions d’Achatz, car elles n’ont d’autre souci que d’éloigner Clelia. Cependant celle-ci a déjà un amour dans le cœur. Le hasard lui a fait rencontrer à un bal le comte Gundaccar Osnat.