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Gundaccar est, comme Clelia, jeune et beau, plein d’enthousiasme et d’inexpérience. On devine les suites de cette rencontre, les entrevues furtives, les sermens échangés, l’éternelle histoire de Juliette et de Roméo. On devine aussi que les deux familles, celle du comte Gundaccar et celle de Clelia, se jettent bientôt au travers de cette liaison. Gundaccar, au moment où il se prépare à fuir avec la jeune comtesse, est entraîné loin d’Inspruck, tandis qu’on affirme à Clelia que son amant lui est infidèle. C’est ainsi que la comtesse devient l’épouse du baron Thannau.

Ici finit le premier, le meilleur chapitre du roman. Cette partie de la narration est faite par Clelia elle-même avec un abandon naïf, avec une émotion qui se communique au lecteur. Le mariage de Clelia et d’Achatz ouvre dans le récit une nouvelle phase. C’est alors que la figure de Clelia prend ces proportions surhumaines qui en altèrent la grace primitive ; c’est alors aussi que le baron Achatz devient ce tyran vulgaire et brutal dont le romancier se complaît à enlaidir la physionomie grimaçante. Clelia jure de rester fidèle à Gundaccar, et elle tient parole. L’enfant qui naît quelque temps après la célébration du mariage vient encore affermir Clelia dans cette résolution ; cet enfant a pour père Gundaccar Osnat. Devant la constance héroïque de la comtesse, Achatz ne recule pas ; il aime Clelia, et supporte en frémissant les dédains de sa belle captive. Convaincu qu’il n’est pas aimé, il se fait pendant sept ans le geôlier d’une femme qui le méprise. Croit-il sérieusement que l’épreuve ainsi prolongée tournera un jour à son avantage ? ou bien ne cherche-t-il dans les tortures infligées à Clelia qu’une lâche et odieuse vengeance ? C’est une question que Mme Hahn-Hahn nous laisse à résoudre. Quoi qu’il en soit, qu’il y ait chez Achatz de la méchanceté ou de la folie, Clelia n’en reste pas moins inflexible et superbe en présence de son bourreau. C’est Gundaccar qu’elle aime, c’est Gundaccar qu’elle aimera jusqu’à la mort. Sept années passent sur sa tête, et l’amour qu’Achatz s’est flatté d’éteindre subsiste aussi pur, aussi ardent qu’aux premiers jours. Cette longue et cruelle épreuve, vaillamment supportée, forme la seconde partie du roman.

Que devient cependant le comte Gundaccar Osnat ? Lui aussi est resté fidèle, lui aussi, pendant sept années de voyage, n’a eu devant les yeux qu’une seule image, dans le cœur qu’une seule pensée. Un hasard le conduit près de la villa isolée où la comtesse est prisonnière. La négligence des gardiens de Clelia facilite une entrevue bientôt suivie d’un enlèvement. Tandis qu’Achatz erre désolé dans sa villa déserte, déjà Clelia et Gundaccar sont sur la route de France. Ils arrivent à Paris. Là, cachés dans une modeste retraite, à l’abri de toutes les poursuites, ils oublient leurs souffrances passées, ils oublient le monde ; mais le monde s’est souvenu d’eux. Les nobles parens de Gundaccar, apprenant ce qu’ils nomment les aventures de leur fils, lui suppriment la pension qui le faisait vivre. La lutte contre la misère provoque chez Clelia une exaltation courageuse, chez Gundaccar un morne abattement. Clelia comprend le danger ; elle entraîne Gundaccar, en Italie. À l’insu de son amant, elle monte sur le théâtre de Palerme ; elle chante, et une foule en délire lui jette des couronnes. La gloire ramène la fortune au foyer de Gundaccar découragé, et quand Clelia meurt, après une carrière semée d’orages au début et de radieuses journées au déclin, elle peut dire avec une fierté légitime que toute sa vie n’a été qu’un long dévouement.