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division, paralysée par sa position et obligée de remonter dans le vent pour venir prendre part à l’action, en ne laissant sur ses derrières qu’une force insignifiante en comparaison de celle qu’il allait poursuivre, sir John Jervis saisissait d’un coup d’œil rapide et sûr la seule chance qu’il pût avoir de triompher d’une flotte aussi supérieure.

A peine Cordova eut-il viré de bord, que Jervis fit au Culloden le signal de virer aussi et de conduire l’armée à la poursuite des seize vaisseaux qui s’éloignaient bâbord amures. La manière dont cette manœuvre fut exécutée par Troubridge sous le feu de l’arrière-garde espagnole lui arracha un cri de joie. « Voyez, s’écria-t-il, voyez donc Troubridge ! ne manœuvre-t-il pas comme si toute l’Angleterre avait les yeux sur lui ? Plût à Dieu qu’elle assistât en effet à ce combat ! elle apprendrait à apprécier comme moi le brave, commandant du Culloden. » Placé sur le Victory au centre de son armée, Jervis en surveillait les mouvemens d’un œil inquiet. Les vaisseaux qui précédaient le Victory avaient imité la manœuvre de Troubridge et s’étaient rangés successivement dans les eaux du Culloden ; mais la division espagnole laissée sous le vent n’avait point renoncé à l’espoir de traverser la ligne anglaise. Elle continuait à s’avancer résolument sous les mêmes amures vers les vaisseaux interposés entre elle et l’amiral espagnol. Le vaisseau à trois ponts le Prince des Asturies, portant au mât de misaine un pavillon de vice-amiral, la dirigeait dans cette tentative ; arrivé par le travers du Victory, ce vaisseau trouva la ligne anglaise tellement serrée, qu’il n’osa s’exposer à un abordage qui semblait inévitable. Il vira de bord sous la volée même de l’amiral anglais, et reçut pendant cette évolution un feu si terrible, qu’il laissa arriver dans le plus grand désordre. Les vaisseaux qui le suivaient, découragés par cet exemple, s’éloignèrent également après avoir échangé quelques boulets perdus avec l’arrière-garde anglaise. Cordova, cependant, se voyant exposé à soutenir avec 16 vaisseaux le choc de 15 vaisseaux anglais, était plus désireux que jamais de rallier la division dont il s’était laissé séparer. Il résolut de tenter un dernier effort pour la rejoindre. Précisons la position des deux escadres en cet instant critique : l’avant-garde anglaise avait viré de bord et se dirigeait à la poursuite des 16 vaisseaux de Cordova ; l’arrière-garde continuait sa bordée pour venir prendre le vent et virer également par un mouvement successif dans les eaux du Victory. L’amiral espagnol crut le moment venu de passer sous le vent de la ligne ennemie. Au milieu de la fumée, il espérait dérober ce mouvement à Jervis et le surprendre par la rapidité de sa manœuvre. Marchant en tête de sa colonne, il se porta vers l’arrière-garde anglaise ; mais Nelson, qui avait rehissé son guidon de commodore à bord du Captain, commandé par le capitaine Miller, montait le troisième vaisseau