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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/629

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beaucoup de gens qui avaient occupé autrefois un rang plus élevé dans la société : de petits marchands ruinés, des clercs de procureurs, des hommes perdus de débauches et de dettes, qui fuyaient, sur les vaisseaux du roi, la prison du comté ou les poursuites de leurs créanciers. Parmi ces volontaires se trouvèrent même quelques Irlandais affiliés aux sociétés secrètes qui rêvaient pour leur pays un affranchissement devenu impossible. Le serment des Irlandais unis servit de lien au nouveau complot, et Bott, ancien procureur, homme artificieux et résolu, nourri dans les subtilités de la chicane et délégué d’un des comités révolutionnaires les plus actifs, Bott, embarqué comme simple matelot sur la flotte de Cadix, devint l’ame de l’entreprise. Il s’agissait, ainsi qu’il l’avoua avant de mourir, de pendre lord Jervis, de se débarrasser de tous les officiers dont les services ne seraient pas reconnus indispensables, et de remettre le commandement de la flotte à un matelot intelligent nommé David Davison. Cette révolution une fois accomplie, la flotte devait se rendre dans un des ports, d’Irlande, appeler le peuple aux armes et décider une nouvelle insurrection.

Lord Jervis était prévenu par l’amirauté des dangers qu’il allait courir ; mais il n’était pas homme à s’en émouvoir. Il refusa, malgré les inquiétudes que lui témoignaient plusieurs capitaines, d’arrêter la distribution des lettres qui arrivaient d’Angleterre. « Cette précaution est inutile, dit-il. J’ose affirmer que le commandant en chef de cette escadre saura bien maintenir son autorité, si l’on essaie d’y porter atteinte. » Il se contenta d’interdire toute communication entre les divers bâtimens de la flotte ; les officiers commandant les détachemens de soldats de marine embarqués sur l’escadre furent mandés à bord du vaisseau la Ville de Paris, qui portait alors le pavillon de lord Jervis. L’amiral leur fit connaître ses intentions. Leurs soldats devaient désormais occuper dans les batteries un poste de couchage séparé de celui des matelots, manger à part, et former à bord de chaque vaisseau un groupe distinct et respecté, spécialement chargé de la police du navire. Jervis voulut en outre qu’il fut sévèrement interdit à ces soldats de converser en irlandais, et il prescrivit aux commandans de l’escadre de ne rien négliger pour piquer d’honneur ces défenseurs de l’ordre et de la discipline. Après avoir ainsi préparé ses moyens de défense, il attendit l’insurrection de pied ferme. Aux premiers symptômes qui en trahirent l’approche, il frappa les coupables sans pitié comme sans peur. Pendant quelques mois, les cours martiales et les exécutions se succédèrent dans l’escadre de Cadix. Le capitaine Pellew voulut intercéder auprès de lord Jervis en faveur d’un matelot dont la conduite avait été jusque-là irréprochable. « Nous n’avons encore puni que des misérables, répondit l’amiral, il est temps que nos marins apprennent qu’il n’est point de conduite passée