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dans une voie différente, le sud du Nouveau-Monde suive l’exemple du nord.

L’observation des voyageurs, le talent d’éminens écrivains, ont fait connaître les États-Unis. Les uns et les autres ont fait plus que décrire les institutions politiques, mesure souvent inexacte de l’état d’un pays ; ils ont pénétré dans les mœurs, dans ces mille détails de la vie privée dont le secret fait comprendre les phénomènes de la vie publique. Il n’y aurait pas moins d’intérêt à soumettre l’Amérique du Sud à la même analyse, à décrire la nature empreinte de signes particuliers, et ses coutumes bizarres, et ses passions meurtrières. Ce serait tout à la fois une œuvre de philosophe et de voyageur, de poète et d’historien, de peintre de mœurs et de publiciste. M. Sarmiento a tenté de réaliser dans un petit livre publié à Santiago du Chili, qui prouve que, si la civilisation a des ennemis dans ces régions, elle peut rencontrer aussi d’éloquens organes. C’est pour lui le récit de faits domestiques. Or, tandis que la politique européenne effleure ces questions sans les résoudre, se fatigue à signer des traités illusoires, et s’arrête à l’embouchure des fleuves, d’où elle ne peut apercevoir les causes réelles des difficultés qu’elle rencontre, n’est-il pas curieux d’entendre le témoignage d’un Américain sur les crises de son pays, de chercher dans une œuvre venue de trois mille lieues ce que le Nouveau-Monde pense de lui-même ?

L’auteur de Civilisation et Barbarie est un de ces exilés argentins marquans par l’intelligence que la dictature de Rosas a successivement éloignés de Buenos-Ayres depuis dix ans. Ces proscrits forment comme une sorte de colonie dont le principal groupe réside à Montevideo ; chassés de l’une des rives de la Plata, ils sont allés camper sur l’autre. On a représenté Montevideo comme un petit Coblentz ; Coblentz, si l’on veut ! mais c’est l’intelligence qui a été forcée de déserter Buenos-Ayres, et qui se plaint sur le rivage opposé. M. Sarmiento, jeune encore, pour sa part, s’est d’abord réfugié au Chili, où il a trouvé la faveur du gouvernement. C’est lui qui fut chargé, au moment de la dernière élection du général Ruines, de développer les principes de la nouvelle administration. Il a exposé des idées élevées et utiles dans plusieurs journaux de Valparaiso ou de Santiago, dans le Mercure, le National, et plus récemment dans le Progrès, où a paru une remarquable suite d’études sous le titre de Questions américaines. Il a eu aussi des devoirs plus pratiques à remplir. Le gouvernement chilien l’avait associé à ses premiers efforts pour fonder l’éducation nationale, en le mettant à la tête d’une école normale. C’est durant son séjour à Santiago, qui a précédé un voyage en Europe, que M. Sarmiento a écrit et publié cet ouvrage, neuf et plein d’attrait, instructif comme l’histoire, intéressant comme un roman, brillant d’images