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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/656

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de la barbarie qui se groupera autour de lui comme autour d’un chef attendu. Quiroga, rentrant dans la Rioja revêtu du prestige de sa récente action de San-Luis, couvert de cette gloire sanglante qui environne son nom, peut librement asseoir son empire parmi les gauchos. C’est déjà un personnage public et dont l’appui est envié. La meilleure condition qui pût servir à l’établissement de ce pouvoir indépendant et distinct, objet de ses vœux, devait se trouver dans la faiblesse même de l’autorité régulière. Deux familles riches et antiques, les Davila et les Ocampo, se disputaient traditionnellement la prééminence dans la Rioja, se poursuivaient mutuellement de leurs inimitiés héréditaires, comme ces familles qui remplissaient de leurs querelles l’Italie du moyen-âge, les Orsini et les Colonna, ou les Capulets et les Montaigus. La loge maçonnique de Lantoro opéra un instant un rapprochement qui pouvait devenir profitable à la ville et à la république ; elle unit dans une tendre alliance le Roméo et la Juliette de l’Amérique. La politique de Buenos-Ayres, qui favorisa cette réconciliation, cette union d’une Davila et d’un Ocampo, avait un autre but, celui de déposséder de leurs fief les deux maisons, et de substituer à leur influence l’influence du gouvernement central ; mais le gouverneur étranger envoyé dans la Rioja tomba bientôt, et l’antagonisme n’en subsistait pas moins entre les deux familles. Ce que n’avait pu faire la politique bienveillante de Buenos-Ayres, la politique barbare le fit bien autrement. L’une de ces familles, dans un triomphe passager, alla chercher un appui dans la plaine ; ce fut un Ocampo qui tendit la main à Quiroga, grandit ce chef de gauchos en le nommant commandant de campagne, ou, du moins reconnut son pouvoir déjà réel et constaté ; et lui demanda son secours ; il n’en fallait pas davantage. « C’est là un moment solennel et critique dans l’histoire moderne de tous les peuples pasteurs de la République Argentine, dit justement M Sarmiento ; il y a un jour où, par la nécessité d’un appui extérieur, ou bien par la crainte qu’inspire déjà un homme audacieux, on le choisit pour commandant de campagne. C’est le cheval des Grecs que les Troyens s’empressent d’introduire dans la cité. » Les Ocampo et les Davila disparaissent les uns après les autres dans de petites et sanglantes révolutions, auxquelles viennent se mêler mille incidens inutiles à rechercher, vainement dilatoires et qui ne font que rendre plus inévitable le, seul résultat digne d’intérêt, l’avènement plein et entier de Quiroga. « Facundo, génie barbare, s’empare de son pays, ajoute l’auteur, les traditions du gouvernement, s’effacent, les formes se dégradent, les lois sont un jouet dans des mains ignorantes et, au milieu de cette destruction impitoyable, on ne substitue rien, on n’établit rien. L’inoccupation et l’incurie sont le bien suprême du gaucho. Si la Rioja avait eu des statues, comme elle avait des docteurs, ces statues auraient servi pour attacher les chevaux. »