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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/688

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qui les avoisinent, car, en étudiant l’antique Égypte, il ne faut jamais isoler la pensée scientifique de la pensée religieuse : le savant égyptien était prêtre, et il était plus prêtre que savant[1].

Une vérité demeure incontestable, c’est que les pyramides étaient des tombeaux. Comment en douter, aujourd’hui qu’on a trouvé le cercueil, le nom et probablement les os de l’un des rois qui les ont fait construire, quand dans la grande pyramide et dans un assez grand nombre d’autres on a trouvé le sarcophage en pierre qui devait contenir le cercueil[2] ? Presque tous les auteurs anciens ont reconnu la véritable destination des pyramides et y ont vu des tombeaux. Rien n’est plus conforme aux idées de tous les peuples que d’élever une montagne artificielle sur la dépouille d’une mort célèbre. Tantôt c’est un amas de terre, une véritable colline ; tantôt à la terre entassée on mêle les matériaux d’une grossière maçonnerie ; tantôt on construit l’image de la colline en pierre. On arrive ainsi, par des transitions insensibles, du tertre conique des montagnes de l’Ecosse, des vallées scandinaves, de la

  1. L’orientation si exacte des pyramides est un fait incontestable. Il n’en est pas tout-à-fait de même, à mon sens, d’une hypothèse qu’un homme de cœur et d’esprit, M. de Persigny, a construite sur une base plus spécieuse que solide, loin des lieux dont le spectacle l’eut, je crois, détrompé. M. de Persigny pense que les pyramides ont été construites pour arrêter le sable du désert, qui tend toujours à envahir la plaine cultivée. À cette hypothèse, que son auteur a présentée avec beaucoup d’art et quelquefois d’éloquence, il y a, ce me semble, deux réponses à faire : l’une, c’est que les pyramides ne pouvaient empêcher le sable de passer, et l’autre, c’est que, malgré les pyramides, le sable a passé. A la rigueur, la seconde réfutation pourrait suffire et dispenser de la première. Or, c’est un fait que la ligne qui sépare les sables de la terre cultivée est en avant des pyramides. Le sphinx colossal qui est au pied des pyramides n’a point été protégé par elles, car sa tête et son buste dominent seuls l’océan de sables où il est enfoui. Dira-t-on que les pyramides ont contribué à modérer cette irruption des sables qui les a pourtant dépassées ? Soit. Mais parle-t-on des vingt-cinq pyramides, la plupart assez petites et disséminées sur une étendue de quinze ou seize lieues, c’est-à-dire, terme moyen, à plus d’une demi-lieue l’une de l’autre ? À cette distance, elles n’ont pu, ce me semble, exercer aucune influence sur les espaces intermédiaires. Seules les trois grandes pyramides de Gizeh, beaucoup plus rapprochées, peuvent faire l’illusion d’avoir apporté quelque obstacle aux progrès des sables du désert. Cet obstacle, réduit ainsi à un seul point, perdrait beaucoup de son importance. Encore faut-il cependant se demander s’il a été réel. Pour cela, il aurait fallu qu’il modérât les vents qui poussaient les sables vers le Nil ; mais il semble que les pyramides, si elles avaient produit quelque effet, auraient plutôt produit un effet contraire, et qu’il serait arrivé là ce qui arrivé, selon M. Elie de Beaumont, derrière l’autorité duquel j’aime à m’abriter, lorsque le sable se porte dans l’intervalle resté vide entre des monticules, et d’autant plus facilement, dit-il, qu’il y a là une sorte de gorge où le vent s’engouffre. (Elie de Beaumont, Leçon de Géologie pratique, T. I, 197 ; voyez aussi Kaemtz, Cours complet de Météorologie, p. 33.
    On voit donc que non-seulement la cause alléguée par M. de Persigny n’a point agi et ne pouvait agir pour arrêter les sables, mais qu’elle n’aurait pu que concourir à précipiter leur accumulation.
  2. Malus a trouvé un sarcophage dans la pyramide du labyrinthe au Fayoum ; M. Vyse, dans la plupart des petites pyramides de Gizeh.