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Une grande tablette de pierre, couverte d’hiéroglyphes, dont les premières lignes seules s’élèvent au-dessus du sable, offre un singulier exemple d’une représentation qui se produit plusieurs fois sur les monumens de l’Égypte. On y voit un roi s’adorant lui-même. Le Pharaon humain rend hommage au type divin dont il est le symbole terrestre. J’aurai occasion de revenir sur cette singulière apothéose dans laquelle la royauté semble identifiée avec la divinité qu’elle invoque. Sur la tablette dont je parle, le même nom, celui de Thoutmosis IV, est écrit derrière le roi en adoration et derrière le sphinx, c’est-à-dire le roi adoré. L’inscription n’a pas encore été lue ; mais on y a remarqué le nom de Chéfren, qui éleva la seconde pyramide, selon Hérodote et Diodore de Sicile. La lecture des hiéroglyphes confirme encore ici le témoignage des deux historiens grecs sur les rois auteurs des pyramides.

M. Caviglia a fouillé le sable amoncelé au-devant du sphinx, et il a trouvé entre ses pattes colossales un petit temple, auquel on arrivait par des marches. Outre la grande tablette, couverte d’hiéroglyphes, qui représente le roi Thoutmosis IV s’adorant lui-même, il y en avait une plus petite, aux pieds du sphinx. Elle est moins ancienne ; c’est Sésostris qui figuré sur celle-ci, comme sur l’autre son aïeul Thoutmosis ; lui aussi il rend hommage au sphinx qui est appelé Horus, et par là identifié au soleil, à la divinité suprême dont le roi est l’image et la représentation sur la terre. Sur un doigt d’une des pattes du sphinx, on a trouvé une inscription en vers grecs assez bien tournés. L’auteur, qui s’appelle Arrien, est peut-être l’historien de ce nom. Il distingue avec soin de la sphinx homicide de Thèbes la sphinx des pyramides, qu’il appelle la très pure servante de Latone. Ce Grec, entraîné par l’habitude, faisait du sphinx un personnage féminin ; cependant on a trouvé aux pieds de celui-ci les fragmens d’une barbe colossale.

Nous voulions contempler les pyramides sous tous les aspects et à toutes les heures. Pour cela, le mieux est de s’établir dans un tombeau. La vue des tombeaux de l’Orient, véritables demeures, fait comprendre bien des récits de l’antiquité. En Europe, un tombeau donne l’idée d’un caveau étroit ; mais, en Égypte et en général dans tout l’Orient, un tombeau était une maison ou au moins un appartement. Je m’étais toujours un peu étonné du roman filé par la matrone d’Ephèse dans le tombeau de son mari, avant d’avoir vu dans les environs d’Ephèse certains tombeaux creusés dans le roc, formant une chambre, ma foi, très confortable un réduit très galant, comme auraient dit nos pères. Le tombeau où se passe la dernière et si pathétique scène de la vie de Cléopâtre, où, aidée de ses femmes, elle hisse à grand’ peine Antoine mourant ; ce tombeau qui, à ce qu’il semble, avait une fenêtre, doit avoir