Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/695

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possession de toutes les fonctions civiles. Quelques monumens me donnent lieu de penser qu’il n’en fut pas toujours ainsi.

La roche sur laquelle sont construites les pyramides et la plaine qui s’étend à leur pied sont partout creusées de tombeaux ; c’est une véritable nécropole, et de l’époque la plus antique, peut-être la nécropole de Memphis. Les parois intérieures de tous ces tombeaux sont couvertes de bas-reliefs peints qui retracent diverses scènes de la vie domestique la chasse, la pêche, la moisson, la coupe du lin. L’une des plus curieuses de ces peintures, que Champollion a publiées, est celle qui représente un homme occupé à envelopper de bandelettes une momie, et un autre peignant le masque qui devait couvrir le visage du mort. Nous ne possédons pas de momie d’une date aussi reculée ; mais cette peinture prouve que ce mode d’ensevelissement remonte à la plus haute antiquité. M Lepsius, qui a campé durant plusieurs mois au pied des pyramides, a découvert, dit-on, une centaine de tombes nouvelles. On l’accuse de les avoir remplies de sable, après avoir fait dessiner les plus intéressans des tableaux qu’elles renferment. Quand on a vu les mutilations que la niaise et barbare curiosité des touristes ignorans fait subir a tout ce qui lui est accessible, quand on songe à la facilité avec laquelle on peut retirer des tombeaux le sable qui les protége, on absout M. Lepsius.

L’extrême intérêt que présentent ces tombeaux de la plaine des pyramides, c’est leur haute antiquité. Je ne verrai rien en Égypte de plus ancien que ce que je trouve en y entrant : Thèbes même, avec son grand Sésostris, est moderne en comparaison des vieux rois de Memphis, qui élevèrent les pyramides ; malheureusement les pyramides ne présentent aucune peinture, aucun bas-relief, et très peu d’hiéroglyphes Elles n’ont dit à la science nouvelle que les noms de leurs fondateurs, puis elles sont rentrées dans leur silence ; mais ces noms de rois se sont retrouvés sur des monumens moins célèbres et plus instructifs. Autour des sépultures colossales de Chéops et de Chéfren, on a reconnu les tombes de leurs serviteurs, et ces tombes contemporaines des pyramides ont dit ce que celles-ci n’avaient pas révélé. Les murs intérieurs des 4 pyramides étaient nus. Ceux des tombes sont couverts de bas-reliefs coloriés et d’hiéroglyphes qui expliquent les bas-reliefs. Ces tableaux, ces hiéroglyphes, dédommagent de la nudité des pyramides. Quand tout ce qu’ils peuvent enseigner aura été recueilli, on aura ce que déjà on possède en partie, une représentation fidèle, et détaillée de la vie égyptienne, telle qu’elle était il y a six mille ans.


J.-J. AMPERE.