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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/694

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matinée d’aujourd’hui dans le second. Champollion a fait dessiner les principales peintures du tombeau d’Eimai. Elles représentent des scènes des champs et de la ville ; on y voit des bergers qui conduisent leurs troupeaux, des agriculteurs occupés de soins rustiques, des menuisiers qui manient le ciseau ou la doloire, des danseurs, des musiciens qui jouent de la harpe et de la flûte, des exercices gymnastiques et des joutes sur l’eau[1]. Toutes ces scènes sont exprimées avec beaucoup de naturel et de vivacité. J’ai prié M. Durand de dessiner un fruit dont la forme m’a frappé par sa ressemblance avec celle de la banane. Le maître du tombeau est, comme à l’ordinaire, représenté assis, ayant près de lui sa femme assise également, et derrière sa femme, ses fils, ses filles et ses sœurs debout. La figure du mort est accompagnée de la désignation en hiéroglyphes de son nom et de ses qualités : ils nous apprennent qu’Eimai était prêtre royal et intendant des constructions du palais du roi Chéops. C’est par une singulière erreur que Rosellini[2] et Nestor L’Hôte[3] ont pris le premier titre pour celui du roi Chéops, dont ils ont fait un roi-prêtre. Cette version était directement contraire au génie de la langue égyptienne[4], et ne s’accordait pas beaucoup avec la vraisemblance ; c’était confondre le roi Chéops avec son aumônier. Si Rosellini et L’Hôte avaient lu l’autre titre qui accompagne le nom d’Eimai, intendant des constructions du palais, eussent-ils donc aussi confondu le roi avec son architecte[5] ?

Dans le tombeau que les Anglais ont appelé le Tombeau des Nombres, on trouve plusieurs fois répété le nom dans lequel M. Lenormant a reconnu celui du roi Chéfren. Ce tombeau était celui d’un grand fonctionnaire de Chéfren, comme le tombeau d’Eimai était celui de l’intendant des constructions royales de Chéops. Ce fonctionnaire était aussi un prêtre. À cette époque antique, le sacerdoce était, ce semble, en

  1. Plutôt que des rixes de mariniers, comme le veut M. Wilkinson. (Customs and Manners, t. II, 440.)
  2. Monum. Storici, 1, 128.
  3. Lettres sur l’Égypte, 145-146.
  4. Comme les langues sémitiques, l’ancien égyptien, suivi en cela par le copte moderne, plaçait la désignation qualificative après le nom de l’objet qualifié. On ne pouvait donc traduire le prêtre roi Chéops, car dans ce cas il y aurait eu le roi Chéops prêtre, et il fallait nécessairement traduire le prêtre du roi Chéops.
  5. J’ai fait dans ce tombeau une observation qui peut avoir de l’importance pour la succession des anciens rois de la troisième et de la quatrième dynastie. Eimai est dit fils d’un personnage qui a rempli auprès d’un autre roi les mêmes fonctions d’intendant des constructions royales, que lui-même remplissait sous Chéops. Le nom de cet autre roi, que M. Bunsen lit Aseskaf, est placé par lui au commencement de la troisième dynastie ; mais l’inscription dont je viens de parler et qui le rapproche de Chéops, fondateur de la quatrième, me porterait à y reconnaître, par le retranchement de la dernière syllabe, Achès, septième roi de la troisième dynastie. Dans cette hypothèse, il faudrait corriger le chiffre de Manéthon, qui compte quatre vint cinq ans entre Achès et Chéops.