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ne se gênent pas pour transformer en casernes les débris des cimetières musulmans. Sans beaucoup scandaliser les habitans, on rase les tombes de leurs ancêtres ; on nivelle, pour y manœuvrer plus à l’aise, les éminences tumulaires, parmi lesquelles les batteries passent et repassent comme sur un champ de bataille. L’indifférence des Indous a de quoi surprendre quand on la compare au soin minutieux avec lequel ils accomplissent les rites funèbres. La tombe, faite de briques, est disposée de manière à ce que la tête du mort, tournée vers l’occident, regarde la Mecque. On ne manque jamais de la voûter, afin que la terre ne puisse toucher le cadavre, et pour rien au monde les musulmans eux-mêmes ne se permettraient de rouvrir cet asile consacré.

A l’exception de ces tombes et du fort de Bukkur, dans lequel il serait impossible de se défendre, mais qui se recommande par son antiquité aux curieux d’architecture militaire, Sukkur n’offre aucune sorte d’intérêt. Comme position de guerre, ce village a mille inconvéniens. Les vivres y sont de mauvaise qualité ; les légumes, indispensables pour le bien-être sanitaire des troupes, y manquent absolument. Pendant les chaleurs, qui ne permettent pas au soldat européen de quitter sa caserne, tous les Beloutchis de l’occident pourraient faire invasion dans le Scindh supérieur sans qu’on eût une baïonnette anglaise à leur opposer ; et, lorsque vient la saison des opérations militaires, les fièvres épidémiques commencent ordinairement à sévir. Or, elles sont de telle nature que, sous peine de voir, homme après homme, les régimens entiers disparaître, il faut les renvoyer sans retard sous un ciel plus clément. « Ainsi, dit le voyageur, pendant une bonne moitié de l’année, nos troupes sont consignées dans leurs casernes, et le reste du temps se passe à enterrer leurs morts. Cet état de choses doit durer jusqu’au jour où l’Indus cessera d’inonder le pays. Ce jour-là seulement les troupes envoyées à Sukkur en décembre et janvier ne seront pas contraintes de fuir, l’été venu, jusqu’à Kurratchie, où elles ont, pour lutter contre les miasmes mortels des plaines abandonnées par le fleuve, la salubre influence des brises marines. »

Presque tous les autres postes du Scindh supérieur sont sujets aux mêmes inconvéniens. L’occupation de ce pays ayant eu pour objet principal d’ouvrir aux négocians de la Grande-Bretagne le libre accès de l’Indus, toutes les garnisons ont dû être disséminées le long du fleuve. Il en résulte que ces postes sont tout-à-fait inhabitables, inhabitables sous peine de mort pendant un tiers de l’année, et que pendant un autre tiers le pays reste ouvert à toutes les invasions de l’ennemi.

D’ailleurs les difficultés que présente la navigation sur l’Indus et l’évacuation de l’Afghanistan rendent complètement illusoires les bénéfices que l’on attendait de ce nouveau chemin ouvert aux cotonnades et aux draps anglais. Pour qu’ils arrivent à Sukkur, par exemple, il