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navigation le permettait, des caravanes les transportaient par terre jusqu’à l’Oxus, et de là jusqu’à la mer Caspienne, d’où elles arrivaient en Europe. Au Ve et au VIe siècle de notre ère, Tattah devait encore avoir une certaine importance commerciale, car l’Indus, — ainsi que Gibbon nous l’apprend, — était une des routes les plus volontiers suivies par les marchands de soie, qui évitaient de traverser la Perse à cause des déprédations commises par les monarques de ce pays. Plus tard, jouissant comme Lahore du commerce libre, Tattah devint encore un des grands marchés de l’Orient. C’est là que les produits de l’Inde occidentale et de l’Afghanistan venaient s’échanger contre ceux du Malabar et de Coromandel, et contre les marchandises apportées d’Europe. D’ailleurs cette ville devait à ses manufactures de coton une prospérité plus directe et moins livrée au hasard. Du temps de Nadir-Shah, plus de trente-cinq mille ouvriers y étaient régulièrement employés ; ses mosaïstes jouissaient d’une réputation fort étendue ; mais, sous le régime despotique des princes talpouris[1], ils émigrèrent en masse vers Bombay, où leurs chefs-d’œuvre décorent encore aujourd’hui le boudoir de plus d’une élégante Européenne. Les tunghis ou draps étroits et la poterie de Tattah sont encore connus et demandés sur les marchés intérieurs de l’Inde. Cependant, et faute de protection suffisante, les commerçans européens se virent peu à peu forcés de supprimer les factoreries qu’ils y avaient organisées, et de ce moment commença pour la ville qu’ils abandonnaient une décadence qu’on a précipitée en transférant à Hyderabad le siège du gouvernement local.

Ni à Tattah, ni même à Kurratchie, où il arriva le 7 octobre, le pauvre sergent ne retrouva la santé. Il est vrai qu’à l’en croire, les hôpitaux militaires sont sur un pied déplorable : l’insolence des officiers de santé, leur négligente oisiveté, leur insouciance cruelle, vivement ressenties par tous leurs malades, si elles soulevaient beaucoup de plaintes comme celles du staff-sergeant, seraient bientôt réprimées. Mécontent de leurs procédés, et fort peu rassuré par l’ignorance grossière dont ils donnaient des preuves quotidiennes, il se hâta de les quitter dès que la fièvre lui permit de se tenir debout. Au sortir de l’hôpital, il apprit que l’ordre de départ était arrivé pour son régiment. En pareille occasion, l’alternative est toujours laissée au soldat, désormais acclimaté, de quitter son corps et de s’enrôler dans un de ceux qui restent sous ce ciel brûlant. Pour l’y mieux préparer, on lève provisoirement les consignes jalouses qui lui interdisent l’accès trop fréquent de la cantine, et cette mesure, qui a pour effet de mettre à sec la bourse de ces pauvres

  1. Les Talpouris, — ceci soit dit sans offenser l’érudition de nos lecteurs, — étaient une tribu guerrière du Beloutchistan qui s’empara du Scindh à la chute de la dynastie mogole.