sa cour l’exemple des plus douces vertus. La franchise de ses manières, la vivacité de son esprit, la bonté de son cœur, sa parole énergique et colorée, exerçaient une séduction irrésistible sur tous ceux qui l’approchaient. La ruine de tous ses plans et de ses plus chères espérances abrégea sa vie sans aigrir jamais son humeur, et l’épreuve du malheur sembla rendre sa vertu plus sereine. L’histoire ne doit pas oublier que l’admirable règlement qui permet à tout sujet autrichien, fût-il couvert de haillons, de s’approcher de la personne de l’empereur et de déposer ses plaintes dans son cœur paternel, fut promulgué par Joseph II. Il a légué à ses successeurs cette sainte tradition. M. Ramshorn, dans son ouvrage, a eu le tort de négliger complètement tout ce côté familier et charmant de la vie de Joseph II. Par un penchant naturel de l’esprit germanique, il a trop idéalisé son héros ; son livre, plein de faits nouveaux et d’aperçus élevés, est cependant empreint d’une exagération systématique ; l’enthousiasme candide de l’auteur éclate en éblouissantes métaphores, et le dithyrambe empiète sur l’histoire. L’esprit, fatigué de suivre dans tous leurs détails tant de combinaisons, tant d’entreprises diverses, se reposerait volontiers sur quelques gracieux tableaux de la vie intime. Pour qu’un personnage historique soit intéressant, il faut qu’il touche à l’humanité par des passions, par des faiblesses. Faute de cet élément sympathique, la figure de Joseph II, sous la plume de l’écrivain allemand, pourra paraître un peu froide à des lecteurs français. C’est un vice regrettable dans un livre aussi remarquable, du reste, que l’est celui de M. Ramshorn.
Il y a des hommes qui résument une époque, une situation, qui personnifient un principe, et qu’on peut juger d’un seul coup d’œil, car leur génie est en quelque sorte d’une seule pièce. Il n’en est pas ainsi de Joseph II, dont l’œuvre fut trop multiple, et dont le génie impatient et mobile manqua d’unité. Les instincts du gouvernant se mêlent en lui aux aspirations du philosophe, et la passion des conquêtes à l’amour de l’humanité. Aussi, pour arriver à une appréciation exacte de ses réformes, faut-il, comme l’a fait très judicieusement M. Ramshorn, les diviser en deux classes, celles qui furent dictées par l’esprit de gouvernement, et celles qui furent dictées par l’esprit d’humanité ; les premières ne devaient pas survivre à la volonté arbitraire qui les imposa, elles furent repoussées et par le peuple et par les grands. Le peuple refusa de se soumettre à une direction dont le but n’était pas distinct, car une nation ne s’enthousiasme pas pour une idée purement abstraite ; il faut que la cause qu’elle embrasse ait une figure, un symbole. Joseph d’ailleurs ne trouva pas, comme Cromwell et Bonaparte, des esprits exaltés par les révolutions et tout prêts pour les grandes choses ; il avait tout à créer, jusqu’aux instrumens de l’œuvre gigantesque qu’il voulait entreprendre. Ces instrumens lui firent défaut ; il ne trouva dans ceux qui l’entouraient aucun appui. La noblesse résistait sourdement, son propre frère Léopold lui était hostile, les ministres qu’il employa manquaient de foi et de dévouement. Kaunitz lui-même, fidèle aux traditions de la maison de Habshourg, embrassait sans doute avec ardeur tous les projets d’agrandissement et de conquête, mais il était presque ouvertement opposé à la plupart des réformes intérieures. Seul contre tous, Joseph crut pouvoir tout par lui-même, et, n’opposant aux obstacles du dedans et du dehors que la seule force de sa volonté, il mit un noble orgueil à cette lutte démesurée qui devait épuiser ses forces ; il avait compté former à son école et pénétrer de son esprit le fils de son frère, ce jeune