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plaisir qu’il a réparé son erreur avec une parfaite courtoisie. Il ne s’agissait en effet, dans cette circonstance, pour le corps diplomatique, que d’offrir ses hommages à Mme la duchesse de Montpensier, à une nouvelle princesse de la famille royale. Dans cette présentation, les difficultés politiques n’ont rien à faire. Cela est si vrai, que les représentans de trois grandes puissances qui n’ont pas reconnu le gouvernement de la reine Isabelle n’ont pas été les moins empressés à féliciter les nouveaux époux. M. de Kisseleff, chargé d’affaires de Russie, a vivement complimenté M. le duc de Montpensier sur son brillant voyage en Espagne, et ses paroles ont fait sensation dans le corps diplomatique. On a remarqué aussi les félicitations pleines de bon goût de M. le duc de Serra-Capriola. M. l’ambassadeur de Naples n’a pas voulu, dans cette circonstance, montrer par une froide réserve qu’il gardait le souvenir des négociations où le nom du comte Trapani avait été long-temps mêlé. C’est de la dignité spirituelle.

Ces détails, la physionomie générale du monde diplomatique, tout constate que le besoin, le maintien de la paix, sont toujours dans la pensée des gouvernemens, et toutefois, on ne peut se le dissimuler, il y a de l’étonnement, de l’inquiétude dans les esprits. Il faut chercher la principale cause de ces appréhensions dans le ressentiment singulier qu’éprouve le cabinet anglais au sujet du double mariage. On a peine, à se persuader que les conditions générales de la paix européenne ne soient pas changées, quand on voit lord Palmerston s’obstiner à soutenir que l’Angleterre a reçu une offense. C’est aujourd’hui sa prétention. Faut-il encore répéter que le gouvernement français, dans toute cette affaire, n’a pu avoir d’autre intention que celle de défendre son droit sans blesser une alliée ? Aujourd’hui, ni les récriminations de lord Palmerston, ni les agressions ardentes de la presse anglaise, ne sauraient avoir la puissance de changer les sentimens et la politique du gouvernement français à l’égard de l’Angleterre. Au fond, la situation des deux pays est toujours la même, elle ne changerait que si l’Angleterre le voulait absolument. Maintenant lord Palmerston aura-t-il le triste pouvoir d’égarer son pays ? Dans cette question est en grande partie l’intérêt de l’avenir.

Si les affaires d’Espagne passionnaient réellement l’Angleterre, si elle croyait qu’elle en a éprouvé un véritable dommage, l’irritation de lord Palmerston pourrait être contagieuse. Est-ce là vraiment la situation ? Nous admettons volontiers, nous l’avons déjà dit, que dans le différend qui s’est élevé entre les deux cabinets de Londres et de Paris les whigs ne seront pas contredits, qu’ils seront même soutenus par les tories ; mais il y a loin de cet échange de bons offices, dans une circonstance particulière, à cette unanimité nationale qui seule permet dans un pays libre les grandes résolutions, les reviremens éclatans de politique. Il y a un siècle, les whigs et les torys décidaient jusqu’à un certain point, par leur seul ascendant, de la paix et de la guerre ; aujourd’hui, ils sont en face d’une puissance nouvelle et considérable. L’Angleterre a ses classes moyennes. Par le travail, par la richesse qui en est la récompense, ces classes ont conquis une influence, une autorité, dont la vieille aristocratie doit tenir un grand compte. Pas plus en Angleterre qu’en France, il ne serait possible aujourd’hui de faire la guerre sans l’adhésion de ces classes, qui, dans les deux pays, représentent les intérêts les plus vitaux. Voilà la véritable sauvegarde de la paix européenne. Depuis plusieurs années, les griefs les plus sérieux n’ont pas