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excuser jusqu’à un certain point cette apostrophe impérieuse et familière. Je n’en fus pas moins choqué, et je répondis d’abord assez brusquement à mon interlocuteur : — Vous le voyez, je suis occupé… à mourir de soif.

L’étranger sourit. Une outre rebondie pendait à l’arçon de sa selle. Cette vue, en redoublant ma soif, fit évanouir ma fierté. Je repris la parole pour demander humblement à l’inconnu qu’il voulût bien me passer l’outre précieuse.

— A Dieu ne plaise que je vous la refuse ! me dit-il alors d’un ton plus doux. J’étendis avidement la main ; mais le cavalier, me voyant disposé à ne pas laisser une goutte d’eau dans la bouteille de cuir, remplit une calebasse qu’il me tendit, et dont j’avalai d’un trait le contenu. Quand je fus un peu soulagé, mon sauveur me demanda quel chemin je suivais et où j’allais.

— Au préside de Tubac, lui dis-je.

— Au préside de Tubac ! répondit-il d’un air étonné ; mais, vive Dieu ! vous lui tournez presque le dos.

Dans l’agitation de la fièvre, j’avais oublié les instructions du pauvre Anastasio, et je m’étais trompé de route ; le chemin que je suivais se dirigeait vers l’ouest, ainsi que je le vis à la position du soleil.

— Écoutez, me dit l’inconnu en me donnant de nouveau à boire, mais aussi parcimonieusement que la première fois, vous pouvez arriver au coucher du soleil à l’hacienda de la Noria. Suivez mon conseil, allez à l’hacienda, vous y serez bien reçu.

J’alléguai mon extrême faiblesse. L’inconnu réfléchit, puis il reprit :

— Je ne puis vous attendre pour vous y conduire ; des raisons impérieuses m’obligent à me trouver bien loin d’ici à la chute du jour. Des motifs non moins puissans devraient peut-être m’interdire l’accès de l’hacienda ; mais, comme ma route me conduit tout près, j’y passerai pour vous faire envoyer un cheval de rechange et de l’eau, car, exténué comme vous semblez l’être, ainsi que votre monture, vous n’arriveriez pas seul aujourd’hui, et dans ces solitudes sans eau, avec un soleil comme celui-ci, quand on n’arrive pas aujourd’hui, on n’arrive pas demain. Tâchez cependant de reprendre des forces et d’avancer un peu : en suivant pas à pas la trace de mon lazo, que je laisserai traîner dans le sable, vous ne serez plus exposé à vous égarer de nouveau.

Je le remerciai vivement de sa bonne intention. — Une dernière recommandation, ajouta-t-il : n’oubliez pas de dire que le hasard seul vous a conduit à l’hacienda.

En disant ces mots, le cavalier déroula le faisceau que formait sa courroie de cuir tressé et s’éloigna au grand trot en laissant derrière lui un léger sillon sur le sable. L’espoir d’arriver bientôt à un endroit habité, l’eau qui m’avait un peu désaltéré, me rendirent quelque