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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/770

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réussite de M. Régnier a été complète. Son parler énergique et soutenu dans la scène de provocation a causé autant d’émotion que de surprise. La souplesse d’organe dont il a fait preuve va rendre les bons juges exigeans. On lui demandera de ne pas autant rappeler, dans la partie naïve et épanouie de son rôle, l’accent toujours un peu conventionnel des comiques. M. Geffroi exprime de la manière la plus distinguée la réserve officielle du diplomate, tempérée par les qualités discrètes d’un noble cœur. Le cinquième acte, dont il partage les honneurs avec Mme Volnys, est celui de l’attendrissement et des larmes. M. Maillart, qui avait encore à justifier aux yeux de quelques personnes son nouveau titre de sociétaire, a marqué a place parmi les bons comédiens de notre temps. Le caractère de Mauléon est un de ceux que les routiniers de la scène appellent de mauvais rôles, et dont les artistes habiles font des rôles excellens. Aux jeunes premiers vulgaires, il faut un amour partagé et triomphant au cinquième acte. L’auteur a-t-il eu l’impolitesse de leur opposer un rival préféré, ils sont sérieusement inquiets, persuadés que le public va se lever en masse pour crier à l’invraisemblance. Les directeurs des petits théâtres partagent eux-mêmes à cet égard les prétentions de leurs jeunes premiers. Payant un amoureux d’autant plus cher que son triomphe de chaque soir est plus vraisemblable, ils craignent de le dépoétiser par un revers, et de compromettre ainsi l’ascendant qu’il doit exercer sur la partie féminine de l’auditoire Le comédien qui sent sa force et qui ne craint pas le travail ne s’arrête pas à ces considérations puériles ; il cherche à conquérir les sympathies, non par l’exhibition d’un type usé, mais par la peinture des réalités de la passion. Voilà ce que M. Maillart a vaillamment entrepris. Fin, distingué, séduisant d’aspect, il a été ce que l’auteur a voulu peindre, non pas le don Juan idéal qui subjugue les femmes par un magique prestige attaché à sa personne, mais un être du monde réel, un héros de salon, spirituel, recherché, homme d’honneur sur tous les points, un seul excepté, les rapports avec les femmes. Les juges exercés d’orchestre du Théâtre-Français en réunit encore plusieurs) ont fait sur le jeu de M. Maillant des remarques de bon augure pour son avenir. À la première représentation, ayant à soutenir en présence d’une salle indécise et presque malveillante un rôle mal pris par l’auditoire, il s’est bien gardé de donner gain de cause au public en abandonnant le caractère. Au lieu de chercher à en atténuer les nuances, comme aurait fait un comédien inexercé, il les a accusées vigoureusement, dominant des murmures qui, du reste, ne pouvaient en aucune façon s’adresser à lui. Les jours suivans, au contraire, devant un auditoire facile et sincèrement ému, Mauléon s’est fait insinuant et tendrement passionné, moins pour séduire Emerance que pour conserver les bonnes graces de la foule, qui ne lui résistait plus. Ces inspirations soudaines et instinctives sur le champ de bataille, sous le feu de l’ennemi, indiquent le tacticien consommé. Qu’a-t-il manqué à M. Maillart pour être parfait ? Quelques teintes moins sombres dans les scènes de comédie où le séducteur n’est plus en jeu, un dialogue moins précipité, plus libre, plus naturellement ponctué. L’acteur renverra peut-être le reproche à l’auteur, dont quelques phrases, écrites plutôt que parlées, sont moins dans le ton de la comédie que dans celui du roman. Cette excuse me semble inadmissible. Le parler ferme et franc, qui unit la liberté du langage aux secrètes vertus du style, est le plus beau titre des maîtres de la scène. La majorité des écrivains dramatiques,