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de montrer l’un préparant la voie à la perfection que l’autre manifeste ; l’ancien pose le fondement, le nouveau achève l’édifice. D’un côte la prédiction, de l’autre l’accomplissement. L’historien disparaît pour faire place au prêtre, au prophète conduisant aux pieds de l’église toutes les sociétés et toutes les sectes humaines.

Durant le siècle de Louis XIV, les grands esprits scrutèrent en tous sens les Écritures, plus ils étaient chrétiens, plus ils s’attachèrent à la contemplation des monumens juifs. Dans une admirable improvisation dont ses contemporains avaient gardé un vif souvenir, Pascal expliqua un jour à ses amis le plan de l’ouvrage qu’il méditait sur la religion chrétienne. Pour montrer combien le christianisme avait de marques de certitude et d’évidence, il commençait par supposer un homme résolu de sortir de l’indifférence dans laquelle il avait vécu jusqu’alors et surtout à l’égard de soi-même. Cet homme s’adresse d’abord aux philosophes ; il trouve dans leurs systèmes tant de faiblesses et de contradictions, qu’il les abandonne pour étudier les religions qui se rencontrent à travers les âges et dans tout l’univers. Là encore rien ne le peut satisfaire, car ces religions sont remplies d’erreurs, de folies et d’extravagances. C’est alors qu’il tourne les yeux sur le peuple juif, et qu’il remarque tout ce que ce peuple a de singulier. Ici, Pascal, dans son entretien avec ses amis, caractérisait l’histoire, la loi et la religion des Juifs, qui se trouvent toutes les trois contenues dans un livre unique, où il est parlé de l’Être souverain avec une majesté incomparable. Tout ce qu’a pu dire à ce sujet Pascal dans cette conversation célèbre, il nous semble le retrouver dans le fragment suivant, qui a le caractère d’un de ces résumés que l’écrivain fait pour lui-même : « Plus je les examine (les Juifs), plus j’y trouve de vérités : ce qui a précédé et ce qui a suivi, enfin eux sans idoles ni rois, et cette synagogue qui est prédite, et ces misérables qui la suivent, et qui, étant nos ennemis, sont d’admirables témoins de la vente de ces prophéties, ou leur misère et leur aveuglement même est prédit. Je trouve cet enchaînement cette religion toute divine dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa conduite, dans sa doctrine, dans ses effets, et les ténèbres es Juifs effroyables et prédites[1]. » L’ame de Pascal est tour à tour, à l’égard des Juifs, remplie d’amour et d’indignation, il les exalte parce qu’il ont prédit le Messie, il les réprouve parce qu’ils l’ont crucifié. Les nouveaux fragmens publiés pour la première fois depuis deux ans, toutes les notes que Pascal jetait sur le papier d’une manière hâtive et confuse, peuvent donner à penser qu’il avait le dessein de suivre les principes de l’hébraïsme, même à travers la littérature rabbinique[2]. Il voulait jusqu’au bout comparer la synagogue et l’église. Il

  1. Pensées de Pascal, édition Faugère tome II, page 198.
  2. Ibid., pages 206-209.